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Débats
Pour une cour constitutionnelle mondiale et une Cour mondiale des droits de l'homme
Une distance béante sépare les grands textes sur les droits de l’homme, avec les promesses qu’ils contiennent, et la réalité́ des conditions faites aux humains en ce 21° siècle. On peut à cela discerner quelques causes :
En premier lieu, l’affirmation des droits a, certes, considérablement progressé depuis la création des Nations Unies mais leur mise en œuvre reste faible, les mécanismes mis en place par les Nations unies ne disposant pas de pouvoirs juridictionnels. Seule exception : la Cour européenne des droits de l’homme, instance obligatoire pour les États, détenant le pouvoir de les condamner pour leurs violations de la Charte européenne des droits de l’homme. Mais il s’agit d’une cour régionale à portée géographique limitée.
En second lieu, les disparités d’une région du monde à l’autre font que beaucoup ne bénéficient que de moindres garanties, voire souffrent d’une absence totale de garanties, ce en outre dans les parties de la planète le plus souvent en proie aux guerres et soumises aux régimes les plus dictatoriaux.
En troisième lieu, et il s’agit là d’une cause structurelle, la souveraineté́ des États a limité le droit international à des accords interétatiques.
L’ouverture du monde qui favorise les inégalités, lesquelles engendrent de la violence, exige des réponses de grande ampleur : deux pistes qui ont été́ rappelées ou ouvertes récemment constitueraient des avancées révolutionnaires: l’une est celle d’une Cour mondiale des droits de l’homme ; l’autre est celle d’une Cour constitutionnelle internationale.
Une Cour mondiale des droits de l’homme aurait compétence pour faire appliquer la Charte internationale des droits de l’homme ; elle pourrait être saisie à certaines conditions par tous les humains et ses décisions s’imposeraient aux États.
Une Cour constitutionnelle internationale pourrait contraindre les États à respecter dans leurs systèmes politiques internes les engagements internationaux qu’ils ont souscrits en matière de droits de l’homme et de libertés démocratiques.
Ce projet n’est pas une alternative à la Cour mondiale des droits de l’homme. Il en est complémentaire. Il apparaît que seuls des mécanismes contraignants au niveau mondial sont à même de garantir, pour tous les êtres humains, le respect de leurs droits et de leurs libertés.
Pour un contrôle démocratique des peuples et des citoyens sur l'Union européenne
Le déficit démocratique au sein de l’Union européenne est devenue une antienne qu’on ânonne sans plus vraiment réfléchir aux implications qu’il emporte, qu’on se contente de constater, en relevant seulement, comme une fatalité, qu’il est structurel dès l’origine.
Chaque nouveau traité a eu, cependant, l’ambition de rétablir l’équilibre du triangle institutionnel (commission, parlement, conseil) dans un sens plus démocratique. C’est ainsi que le parlement a vu ses prérogatives s’accroître progressivement par l’instauration des procédures de consultation, de coopération puis de co-décision, outre le vote du budget de l’Union. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne élaborée en 2000 a clairement rappelé que l’Union repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Il ne resterait plus que l’indépendance de la BCE pour restreindre l’exercice de la démocratie. Mais, avec la crise, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la restauration du contrôle politique sur la gestion de la monnaie européenne.
L’avenir démocratique serait donc assuré. Ce n’est sans doute pas aussi simple et la crise financière vient révéler que, malgré les avancées, le fonctionnement et l’organisation de l’Union butent toujours sur l’octroi aux peuples d’un véritable contrôle démocratique.
Trois thèmes permettent de cerner les conditions d’un tel contrôle :
- la charte.
- la prise de décision (avec, notamment, les relations entre parlements nationaux et parlement européen)
- l'indépendance de la banque centrale européenne
Qu’en est-il de l’État de droit aujourd’hui ?
L’État de droit peut se définir comme l’État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées, de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Chaque règle y tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures ; l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques y est assurée, l’existence de juridictions indépendantes garantie et le déni de justice proscrit.
Ce modèle, né à la fin du 19ème siècle en Allemagne, puis en France, tendait, notamment par la fondation d’un droit rationnel, s’imposant à l’État lui-même, à la constitution d’un pouvoir répondant aux exigences du libéralisme politique, hérité de la Révolution.
Mais si, aujourd’hui, l’État de droit demeure comme un des critères évidents de la démocratie, servant de référence pour juger les régimes existants, d’une part l’affaiblissement de l’État-Nation, berceau de l’État de droit, entraînée par la construction européenne et la mondialisation, d’autre part, l’usure ou la quasi-disparition de la séparation des pouvoir (institutionnelle au plan européen, visiblement volontaire en France, sous le gouvernement actuel) sont venus transformer profondément l’idéal d’un droit triomphant.
Il faut donc se demander si l’État de droit garde une réelle portée au niveau où il a été créé, qui est le niveau national, s’il peut être transposé au niveau européen et mondial, enfin s’il constitue véritablement la réalisation de la démocratie ?
Vers une cour constitutionnelle ?
Avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été introduite, par l’article 61-1, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle ouvre le contrôle de constitutionnalité, traditionnellement resté fermé, en France, aux citoyens dans le cadre d’un litige, et permet potentiellement le contrôle a posteriori de toute loi. L’existence de la QPC constitue ainsi une avancée majeure pour l’État de droit. Marquant l’amorce d’une transformation du Conseil constitutionnel en organe juridictionnel, peut-on y voir l’annonce de l’émergence d’une cour constitutionnelle ? Si cette évolution s’avère nécessaire au renforcement de l’État de droit, la QPC soulève de ce point de vue de nombreuses interrogations quant à la hiérarchie des normes dans l’ordre interne français. Qu’en est-il en effet de sa priorité par rapport au contrôle de conventionnalité ? En affirmant la primauté dans l’ordre interne de la Constitution sur le droit international et européen, la QPC est-elle l’outil d’une « remise en ordre de notre hiérarchie des normes», comme l’a déclaré le président du Conseil constitutionnel ? Quel rôle la QPC est-elle alors appelée à occuper face au contrôle de conventionnalité et à la primauté dans l’ordre interne des normes européennes ?
La crise de la justice
La justice n’est pas un sujet démocratique suffisamment discuté, le mouvement de dépolitisation de la question judiciaire s’inscrivant dans une évolution longue.
En évoquant la crise de la justice, on se place d’emblée, avec le mot crise, dans le conjoncturel, en évitant le structurel, les invariants qu’on ne voit pas ; quant à parler de la justice, cela veut tout dire et rien dire : il y a la justice pénale, la justice sociale, la justice administrative et, au-delà de ces spécialités, une dimension multidimensionnelle, la justice pouvant être vue comme un régulateur social, une institution publique, un service public. De quelle crise de la justice parlons-nous alors ? D’une crise institutionnelle, morale, économique ? En réalité tout est lié.
La crise est ancienne et depuis les années 2005, institutionnellement, rien n’a changé : la bureaucratie est toujours là ; la pénurie est trop ancienne pour que les recrutements suffisent ; le discours du budget contraint reste permanent ; l’aide juridictionnelle n’est pas plus efficace ; la rétention de sûreté n’a pas été abolie ; la justice des mineurs n’a pas évolué ; les contrôles d’identité au facies sont restés lettre morte ; le droit des étrangers n’a pas été modifié ; le conseil supérieur de la magistrature est toujours en place et la démocratie au sein des juridictions est inexistante.
Il faut partir du constat que les formations politiques, quelles qu’elles soient, parlent très peu de justice, parce que cette question manque d’une assise politico-culturelle : si un parti politique présentait un programme pour la justice solide, il ne serait pas compris. S’il y a dépolitisation de la question judiciaire, c’est qu’il y a une idéologie neutraliste, l’idée d’une neutralité du droit et de la justice. Le droit serait déconnecté des fins auxquelles il sert et le débat en serait laissé aux experts. Les magistrats, d’ailleurs, pensent généralement qu’il n’y a pas de politique dans leur fonction. Parallèlement, existe un mouvement de surpolitisation apparente de la question judiciaire, qui vise à chercher derrière chaque décision judiciaire une intention politique. Ces deux idéologies, « neutraliste » et « intentionnaliste » se complètent et aboutissent à ce qu’on ne parle plus ni du contenu des lois ni de la façon dont la justice doit fonctionner.
Il est nécessaire de déconstruire ces deux idéologies et, simultanément, de reposer un certain nombre de questions. Il faut reposer la question des valeurs quand on parle de justice et chercher peut-être auprès des associations civiles, auprès de ceux qui vivent l’institution judiciaire en tant que justiciables, les éléments d’une réflexion politique.
On peut préciser les voies d’une repolitisation de la question de justice, celle de l’éducation populaire et celle de la lutte contre la doxa, à l’université ou dans la presse, pour tenter d’en finir avec le maintien de la justice dans un état de dépendance politique, économique et culturelle. On ne peut, par ailleurs, que constater qu’aux magistrats est faite l’injonction de quitter leur subjectivité alors même qu’on détricote les procédures permettant l’objectivité. Quant aux victimes, soit on les laisse à la droite et à l’extrême-droite, soit on leur donne un statut, alors qu’un tel statut ne peut exister. Rien d’étonnant à ce qu’on assiste à une crise d’adhésion de la société à la justice. Il est donc urgent de remettre la justice au cœur de la démocratie.
Matthieu Bonduelle, ancien président du Syndicat de la magistrature
Du droit à la sûreté au droit à la sécurité
La CNCDH est née par arrêté du ministre des affaires étrangères du 17 mars 1947 pour assurer la veille, au niveau international, des engagements de la France en matière de droits de l’homme. C’est en 1986 que sa compétence portant sur les questions internationales a été étendue au plan national et qu’elle a été directement rattachée au Premier Ministre.
La CNCDH est indépendante et pluraliste ; elle est composée de représentants de 24 associations de défense et de promotion des droits de l'homme et des principales confédérations syndicales représentatives, ainsi que de diverses personnalités.
Elle rend 12 à 15 avis par an ; elle rédige des notes à destination du Comité des Nations-Unies sur les modalités d’exécution par la France de ses engagements. Elle intervient en tierces interventions devant la Cour européenne des droits de l’homme et suit la mise à exécution des condamnations contre la France.
Concernant l’état d’urgence, la CNCDH a, très vite, alerté sur les risques d’une limitation de certaines libertés qui ne serait pas ponctuelle et provisoire. Le déséquilibre entre le droit à la sécurité et le droit à la sûreté peut porter atteinte à l’Etat de droit qui garantit les droits et les libertés.
Le droit à la sûreté est le droit d’être protégé contre les arrestations et les emprisonnements arbitraires. Or on assiste à un glissement sémantique, à une confusion, un écrasement du droit à la sûreté vers le droit à la sécurité. La sécurité au sens strict, n’a été érigée que récemment en droit, elle est définie comme un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives, alors même qu’elle est restrictive des libertés. Il faut par ailleurs noter que le droit à la sécurité des personnes et des biens n’est institué dans aucune convention internationale. Or on assiste à une sorte de prise de pouvoir de la sécurité des personnes et des biens, vers la construction d’un droit pénal « liquide ».
L’état d’urgence légitime toutes ses déviances. La dernière loi du 21 juillet 2016 comporte de plus en plus de mesures attentatoires. Sans oublier la décision de la France de déroger à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui permet, sous conditions, de déroger à certains droits et libertés protégés par la Convention.
Les conséquences sont lourdes au regard de la liberté et de la cohésion nationale, par les atteintes portées à l’égalité (les contrôles concernent toujours les mêmes personnes) et à la fraternité (par les manifestations d’islamophobie).
Nous entrons, avec ce type de mesures, dans la politique de l’ennemi.
Christine LAZERGES,
Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme
Colloques
Colloques avec l'Association Européenne des Juristes pour la Démocratie & les Droits de l'Homme
Evolution du droit du travail en Europe sous la pression de l’économie néo-libérale
* Voir le site de l'Association européenne : https://eldh.eu
Une justice pénale européenne
À une époque où le développement de l’Union Européenne et du droit européen est de plus en plus poussé, une des questions majeures qui se trouve soulevée est celle de la coopération policière et judiciaire en matière pénale au sein de l’UE. Sur quels fondements cette coopération est-elle construite et sur quels principes s’appuie-t-elle ? L’organisation au niveau européen d’enquêtes policières et de procédures judiciaires pénales, avec des organes communs dotés de compétences à l’échelle du territoire de tous les États membres, a pour but de mieux lutter contrer une criminalité transnationale désormais organisée en réseaux. Mais permet-elle simplement la nécessaire régulation du nouvel espace européen, ou est-elle, également, l’occasion d’un contrôle renforcé des populations et d’une restriction des politiques d’asile ? Quels sont les dangers qu’elle fait peser sur la protection des droits ?
Puissance de l'argent et impuissance de la justice.
A l’échelle du monde, l’impunité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre a diminué, notamment grâce à la création de la Cour pénale internationale. Mais en même temps, de nouvelles impunités apparaissent. Le détournement des richesses aggrave le sort des plus défavorisés, le développement économique est entravé, les plus pauvres sont eux-mêmes l’objet de trafics (les marchandises, les capitaux, les informations circulent librement, mais non les hommes).
Les défenseurs des droits de l’homme doivent ouvrir un front nouveau. A ce titre, la question des paradis fiscaux et judiciaires est emblématique.
Une conjoncture favorable se présente, dans les années 1990, pour lutter contre les paradis fiscaux, et plus généralement contre la criminalité financière.
L’appel de Genève donne un premier signal fort. Une partie du texte alerte l’opinion sur les carences de la coopération judiciaire en ce domaine. Des initiatives institutionnelles importantes sont aussi lancées. En 1989, le GAFI est créé, organisme intergouvernemental visant à développer et promouvoir des politiques nationales et internationales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’OCDE publie en 1998 un rapport sur la concurrence fiscale dommageable. La conférence des parlements européens contre le blanchiment, qui se tient à Paris en 2002, adopte en la matière un certain nombre de recommandations. En Europe, un groupe de travail composé d’universitaires de 15 Etats membres propose en 1997 un Corpus juris, tendant notamment à la création d’un parquet européen.
Les pratiques également évoluent : un pôle économique et financier est créé à Paris, des magistrats de liaison sont mis en place, des conventions voient le jour et sont ratifiées, notamment sur la corruption d’agents publics à l’étranger.
Les années 1990 montrent ainsi que les questions de corruption, de criminalité politique et financière, de lutte contre les paradis fiscaux peuvent s’imposer sur un agenda politique.
Mais on observe ensuite un retournement de la conjoncture. En avril 2001, les États-Unis refusent de réitérer un soutien à l’initiative de l’OCDE visant à prendre des mesures contre certains pays non coopératifs. Après le 11 septembre 2001, si la question de l’utilisation des paradis fiscaux pour financer le terrorisme est posée, c’est uniquement pour lutter contre des fonds dont la destination est illicite et non pour lutter contre des fonds dissimulés. En France, les lois du 15 mai 2001, du 1er août 2003 ou du 10 mars 2004 ne traitent pas de la question en tant que telle des flux financiers vers les zones offshore. La directive « épargne » de l’Union européenne en 2005 laisse de nombreuses échappatoires en ne portant pas sur les personnes morales ni sur les trusts. En ne mettant pas en place des mécanismes de supervision et de régulation financières et économiques, les États membres se sont laissés déposséder au profit de procédures souvent technocratiques et faisant de plus en plus de place aux décisions d’instances à caractère professionnel, dont il est difficile que les membres ne soient pas en conflit d’intérêts.
Le réseau Tax justice network (TJN) estime à 11000 milliards de dollars le montant des fortunes privées placées dans des paradis fiscaux. Pour l’Afrique, le même réseau TJN évalue à l’équivalent de 30% du PIB de l’Afrique subsaharienne la richesse illégalement transférée à l’étranger.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a cependant bénéficié d’un nouvel élan politique le 21 octobre 2008 lorsque 17 pays de l’OCDE se sont mis d’accord pour intensifier la mise en œuvre complète des normes de transparence et d’échange de renseignements de l’OCDE. La Convention des Nations Unies contre la corruption (Merida/Mexique, 9 décembre 2003) constitue le premier instrument mondial de lutte contre la corruption. Mais la lutte contre la fraude économique et financière doit s’accompagner d’une refonte des appareils policier et judiciaire, structurellement faibles en ce domaine. En résumé, il faut mettre un terme à des politiques nationales et européennes schizophrènes, avec des objectifs proclamés de lutte la criminalité financière et la persistance des entraves aux administrations et à la justice chargées de cette lutte.
L’efficacité commande aujourd’hui de réprimer les comportements nuisibles à la libre concurrence et de nature à appauvrir l’État. Comme le rappelle le groupe de travail parlementaire sur la crise financière internationale, cela impose la remise en cause d'un certain conformisme intellectuel et la fin du laisser-faire. La question n’est pas seulement technique ; elle implique des choix politiques et relève à ce titre de la responsabilité des pouvoirs publics. Une nouvelle éthique de la responsabilité économique doit fonder cette ambition.
Eric Alt, vice-président de MEDEL
(Magistrats européens pour la démocratie et les libertés)
Travaux de la CNCDH
CNCDH- Secrétariat Général Sous commission B
Contribution à l’examen du 3ème rapport périodique de la France par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies
CNCDH- Secrétariat Général Sous commission B
Réponses du gouvernement français aux questions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
Examen du 3ème rapport périodique concernant les articles 1 à 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels