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Qu’est-ce qu’être « juriste démocrate » ?
13 janvier 2024
Si nous avons jugé bon aujourd’hui de prendre une journée pour réfléchir à cette question, c’est bien parce que la réponse ne va pas de soi.
En effet, nous, les « juristes », que nous soyons praticiens ou théoriciens du droit, nous ne sommes pas appelés dans notre pratique professionnelle à porter un jugement de valeur sur celui-ci. Nous devons l’appliquer pour les praticiens et l’étudier pour les autres, cela en dehors de toute appréciation morale ou politique. De telle sorte que parmi les sciences humaines et sociales, le droit est considéré comme une science de gouvernement. On l’étudie comme l’outil de réalisation du pouvoir. Et le droit a eu une longue vie sans entretenir aucun rapport avec la démocratie. Il a été appliqué et commenté comme tel bien avant que ne soit revivifiée au XXè siècle, la notion de démocratie longtemps éclipsée après sa naissance dans la Grèce antique. Sans doute y avait-il et notamment à partir de la Pensée des Lumières, une pensée critique du droit par les philosophes, mais précisément c’était l’objet de la philosophie que de pratiquer la pensée critique. Cela ne relevait pas des juristes.
Les choses ont changé au XXè siècle, et notamment après la Seconde guerre mondiale. À partir de 1948, l’universalité des droits de l’homme devient un horizon mondial avec la Déclaration universelle. À partir de là, est posé le principe de l’égalité entre tous les humains et un certain nombre de droits constitutifs des libertés est consacré. Dès lors, tous les États, quel que soit en réalité leur régime politique, parce qu’ils sont signataires de la Déclaration, puis des deux Pactes internationaux qui suivirent, se sont affirmés comme des démocraties, c’est-à-dire comme des régimes dont les valeurs fondamentales sont la liberté et l’égalité. Cet affichage envoie alors le signal qu’ils se conformeront dans leurs systèmes juridiques aux impératifs des droits humains, constitutifs de la démocratie.
La pensée critique n’était pas entrée pour autant dans les Facultés de droit. Le positivisme avait eu le succès que l’on sait avec la sociologie de Durkheim et d’Auguste Conte. Et il avait, notamment par les travaux de Duguit et de l’École de Bordeaux, gagné la sphère du droit. Même après la publication de la Déclaration universelle, et jusqu’à nos jours, le positivisme reste, notamment en France, la pensée dominante et le bon juriste est celui qui est expert dans l’application ou le commentaire du droit tel qu’il a été promulgué et non celui qui en fait la critique par rapport à des valeurs.
Mais la Déclaration universelle est là, les Nations unies prônent la démocratie, même si c’est à des conditions dont je dirai cette après-midi qu’elles sont minimales. Cela allait permettre l’évaluation des normes de chaque État à l’aune des droits et libertés qui ont été proclamés. La voie a ainsi été ouverte à la constitution de groupes de juristes militants, ceux pour lesquels le droit n’est pas seulement l’outil du pouvoir, mais doit être le moyen de réaliser pour tous les droits et libertés qui ont été proclamés. Or ces droits et libertés peuvent être revendiqués contre l’État si celui-ci, et c’est le plus souvent le cas, ne les met pas en œuvre dans leur plénitude. Et c’est ainsi qu’est née l’Association internationale des juristes démocrates. Elle fut fondée en 1946 par un groupe de personnalités comportant René Cassin (le père par ailleurs de la Déclaration universelle), Joé Nordman, Léo Matarasso et Pierre Cot.
Cette Association aux travaux de laquelle nous avons été quelques-uns ici à participer au cours des décennies passées, a été une association internationale puissante, reconnue parmi les ONG accréditées aux Nations unies. Elle a été très active dans les luttes de libération nationale des peuples soumis à la colonisation et à d’autres combats comme celui des Palestiniens ou comme la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Le qualificatif de « démocrate » associé à son identification n’a pas fait, à ma connaissance l’objet de réflexions ou de débats au sein de cette structure. Sans doute, préférait-on rester discrets sur ce sujet dans la mesure où la caractéristique de cette association était de réunir des juristes des deux côtés de ce que l’on a nommé longtemps le « rideau de fer ». Il y avait là évidemment deux conceptions de la démocratie assez peu compatibles. Le couple problématique de valeurs qui fondent la démocratie à savoir l’égalité et la liberté, faisait l’objet de conceptions opposées par les deux camps.
On a beaucoup dit que l’AIJD était inféodée aux régimes communistes. Ce qui est vrai, c’est que les cotisations des associations nationales étaient plus importantes de la part des branches venant de pays communistes, car c’était alors les États qui les finançaient, que de la part des branches des autres pays, où les cotisations venaient des adhésions de militants. Mais je dois dire pour avoir participé d’assez près à cette association, que la personnalité de Joe Nordman qui en a été longtemps le Président, avait permis de dépasser cette difficulté. Ce grand bourgeois très sincèrement communiste, était profondément attaché à faire travailler ensemble des juristes des deux camps et savait dans les moments difficiles faire preuve d’une remarquable indépendance. Mais cette entreprise délicate ne pouvait se poursuivre qu’en évitant de se pencher trop précisément sur le qualificatif de démocrate.
Aujourd’hui, le contexte mondial a changé, le Mur de Berlin est tombé. Il n’y a plus de démocraties dites « populaires ». Il y a dans le monde entier des régimes se revendiquant tous de la démocratie, alors que la notion s’est dissoute dans quelques bonnes recommandations comme celle de pratiquer des élections libres et transparentes, ce qui signifie simplement dans bien des cas que le bourrage des urnes électorales sera limité.
Cette situation justifie le questionnement que nous ouvrons aujourd’hui. Dans la mesure où nous avons toujours ce label de « juristes démocrates », il est légitime que nous tentions d’approfondir ce qui caractérise cette identité.
Quelques interrogations théoriques sur la démocratie.
Dans le débat public, comme dans les enseignements portant sur le droit constitutionnel et les régimes politiques, la définition de la démocratie est assez sommaire. Ce terme renvoie au gouvernement de tous, ce que résume la formule française : le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Et l’on énonce alors que la démocratie peut être directe là où les conditions, notamment démographiques le permettent et qu’elle est représentative ailleurs, ce qui exige l’élection au suffrage universel de représentants du peuple. Et par référence à Montesquieu, l’on souligne que les critères de la démocratie sont en plus des élections au suffrage universel, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la magistrature, le pluralisme politique, la garantie des droits fondamentaux, l’État de droit. Ainsi la démocratie est-elle conçue comme un mode de gouvernement dont la réalisation dépend de techniques politiques et constitutionnelles précises.
Mais nous savons le degré d’insatisfaction politique que nos sociétés ont atteint, en dépit du fait que ces conditions de la démocratie s’y trouvent à peu près réunies, au moins dans les pays que l’on désigne avec emphase comme les « grandes « démocraties. C’est donc que les techniques considérées comme des conditions de la démocratie, si elles en sont effectivement les conditions nécessaires, ne sont pas suffisantes. Il faut alors aller au-delà et s’interroger sur la substance de la démocratie, sur la logique profonde qui anime cette modalité du politique, pour se demander quel en est l’esprit.
Pour mener cette réflexion, on peut partir très concrètement des droits et libertés garantis par la Déclaration universelle et les Pactes qui ont suivi. On constate alors que ces droits et libertés sont porteurs d’un projet d’émancipation de nature proprement révolutionnaire. L’égalité proclamée est une égalité de tous, absolument tous les humains. Elle est une égalité de droits, mais elle est aussi grâce au Second Pacte, celui sur les droits économiques, sociaux et culturels, une égalité dans les possibilités mêmes de la vie, une égalité dans l’accès à une vie juste et bonne. Les libertés sont des libertés politiques, syndicales, idéologiques, religieuses, culturelles. Le tout constitue un idéal très élevé. (le paradis sur terre) Cela induit plusieurs conséquences pour notre réflexion.
Ces droits et libertés s’ils sont appliqués caractérisent une société politique marquée par la pluralité de ses membres, leur hétérogénéité, la conflictualité entre eux. Nous, les humains, considérés comme tous égaux, sommes infiniment nombreux et tous différents. Sans doute, y a-t-il des traits communs à certains groupes. Mais même au sein des communautés les plus soudées, si la liberté s’exerce, la pluralité apparaît. Et cette pluralité donne à voir l’hétérogénéité. Car, bien que membres de la même espèce, nous sommes tous différents. Cette hétérogénéité induit alors la conflictualité, car à partir de ces différences, les convictions vont diverger et les oppositions apparaître. La démocratie est la modalité du politique qui assume cette conflictualité, c’est-à-dire le dissensus. Il s’agit d’un canal de dérivation de la violence. C’est ce que Machiavel, ce penseur innovant de la politique avait compris lorsqu’il analysait ce qu’il appelait le « tumulte », ces mouvements d’opposition qui surgissaient dans la Florence du 15 è siècle entre les Grands, ceux qui avaient le pouvoir et le peuple, ceux qui le contestaient.
La mise en œuvre complète des possibilités ouvertes par les droits et libertés a une autre conséquence qu’il est particulièrement important de rappeler dans l’époque actuelle, c’est que la démocratie se réalise dans ce qu’Hannah Arendt appelait l’agir politique, ce combat permanent contre la domination. Il n’y a de réalisation de ces droits et libertés que si nous nous en emparons et cela peut nous mener à ce que Miguel Abensour nommait la démocratie insurgeante, ce mouvement par lequel nous n’avons de cesse de faire en sorte que cette réalisation progresse. Cela peut ainsi conduire à se dresser contre l’État. En effet, l’appareil d’État se donnera toujours comme le garant de la démocratie en prétendant qu’elle se réalise avec le régime représentatif et l’État de droit et toujours il tentera de confisquer le pouvoir et de reprendre la main sur la domination à son profit. Et toujours la poussée démocratique exigera d’aller plus loin, sauf si le peuple déserte l’agir politique, ce qui est l’un des grands dangers des temps présents.
Aller plus loin, c’est maintenir ouverte la condition de pluralité. Le tout que forme une société est un tout composite qui doit maintenir sans les effacer les différences et les oppositions entre ses éléments. Or les processus de désignation des dirigeants amènent une partie de la société à occuper le pouvoir en prétendant incarner le tout. Lorsqu’ils le prétendent à l’extrême cela donne le totalitarisme. Et la politique est orientée vers les intérêts de ceux qui ont conquis le pouvoir. Les intérêts des autres, sont ignorés ou sous-estimés. Il n’y a pas de pause dans le combat démocratique contre ce phénomène inévitable. Pour que la communauté politique soit celle de toutes ses composantes il faut lutter sans relâche contre la confiscation du pouvoir qui est la marque de tout gouvernement.
J’ajouterai pour clore cette courte introduction théorique, deux séries de remarques : la première a trait au risque inhérent à la politique et aux luttes d’émancipation. Ce risque est celui du retournement de l’émancipation en son contraire. Cela a été éclatant dans toutes les révolutions, dans toutes les luttes d’émancipation. La Révolution française a accouché de la Terreur et a donné naissance à l’Empire, puis à presqu’un siècle de régimes monarchiques. Plus près de nous, les luttes de libération nationale ont conduit les peuples ainsi « libérés » à sombrer dans des régimes politiques dictatoriaux et répressifs. Ainsi va la lutte des humains pour leur émancipation. Étienne Tassin avait il y a quelques années, discuté de ce phénomène dans un ouvrage intitulé « Le maléfice de la vie à plusieurs ». La démocratie peut à tout moment enfanter son contraire, car assumer la liberté pour soi et pour les autres, c’est accepter le risque de la perdre. La pluralité et la conflictualité peuvent conduire au triomphe de forces opposées. Alors cette pluralité disparait et advient l’injonction d’unité nationale derrière un chef, ce qui est le naufrage de la démocratie. Ce risque est partout et nous le savons bien, ici en France, nous qui craignons tant les prochaines échéances électorales. Cela nous démontre une seule chose. C’est que le maintien de la démocratie dépend des forces que nous mettons dans la bataille politique. Et si les force se relâchent, la régression ne tarde pas. La démocratie n’est jamais garantie dans la durée.
L’autre série de remarques est relative à la nature et à l’extension des droits et libertés dont la défense est au cœur du processus démocratique. Ces droits et libertés ne forment pas un ensemble achevé. Le droit d’avoir des droits créé une dynamique infinie. Et cela pour deux raisons. D’une part, les humains poussent toujours plus loin leur exigence d’égalité et de liberté. Des demandes de nouveaux droits apparaissent alors comme on le voit dans les refus de domination qui surgissent dans toutes les sociétés. Cela donne le chantier des droits des femmes qui est ouvert partout, même s’il n’avance pas au même rythme selon les sociétés. Il en va de même pour les droits des personnes LGBT ou de toutes les minorités.
Mais d’autre part, les évolutions technologiques ont un impact considérable et parfois très négatif sur nos libertés. Cela est particulier à la période actuelle et la défense de la démocratie va se poser de manière différente et très problématique dans les années qui viennent. Je n’ai pas le temps de développer ce point ici et je pense que ce pourrait utilement être le thème d’une autre rencontre à venir. Rappelons seulement quelques éléments de cette situation.
Il y a d’abord l’accélération du temps. La frénésie d’agir, de voyager, de consommer pouvait il y a quelques décennies s’accompagner du sentiment de vivre un progrès. Aujourd’hui entre reprise des guerres et menace climatique, la rage de consommer et de voyager n’a plus de sens. Et pourtant la pression de l’accélération s’exerce sur nous à tout instant, en écho au mouvement du capital qui maintient ses profits par sa ronde échevelée autour de la planète et qui pousse à la militarisation du monde. Comment imaginer une réponse des démocraties en termes de droits face à cela ? Une enquête de la Fondation Jean Jaurès, a montré récemment comment ce sont les marques commerciales qui ont pris le pouvoir sur les imaginaires politiques. À force de se réfugier dans des « éléments de langage » vides de contenu, les politiques ne se situent plus dans une histoire commune. Comment reprendre le contrôle de cette histoire commune en faisant du débat à son sujet l’un des enjeux de la démocratie ?
Enfin, et c’est certainement là le plus difficile, comment empêcher que les nouvelles technologies de l’hyper vitesse ou de la surpuissance, que ce soit dans le domaine biologique, ou des communications ne prennent le contrôle de nos vies à travers des société privées qui développent l’Intelligence Artificielle et ont ainsi une puissance inouïe, très supérieure à celle des États ? Ces phénomènes en cassant les communautés politiques nous renvoient à nos solitudes face aux machines. Il y a quelques années, l’on s’interrogeait sur la possibilité du clonage. On en est aujourd’hui à l’homme augmenté et aux robots plus puissants que nous.
La démocratie n’aura-t-elle été qu’un court moment dans l’histoire de l’humanité, ou saurons-nous redéfinir les droits et libertés dans ce contexte ? C’est sur cette question difficile et inquiétante que je passe la parole à nos intervenants.
Peut-on parler de démocratie à l’échelle internationale ?
Les optimistes diront que oui. Ils citeront dans ce sens le fait que les Nations unies affichent dans leurs buts l’égalité de droit des peuples et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion. Ils remarqueront que pour être considéré comme un État et entrer aux Nations unies, il faut accepter les obligations de la Charte, donc les droits de l’homme et le droit des peuples. Ils diront encore que la Charte pose le principe de l’égalité souveraine de ses membres, les États. Et que, depuis leur création, les Nations unies ont développé une assistance démocratique à bien des États.
Je ne me range pas parmi ces optimistes. Les Nations Unies ont été créées par les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale. Ce sont alors des grandes puissances et parmi elles, il y a deux puissances coloniales qui, en 1945, n’avaient aucune intention de renoncer à leurs colonies. Aussi derrière les affirmations de respect des droits de l’homme et des libertés, l’esprit de domination persistait. Même si les choses ont évolué, cet esprit de domination reste présent, notamment à travers la composition du Conseil de sécurité. Il est remis en question par les pays du Sud, actionnés dans ce sens par la Chine ou la Russie. Il s’agit alors de compétition dans le contrôle de l’Organisation plus que de poussée démocratique. On peut mener la critique des Nations unies du point de vue des carences démocratiques sur plusieurs points.
Ces carences portent d’abord la composition de l’organisation elle-même. Seuls, des États peuvent en être membres. Les mécanismes par lesquels un groupe humain accède au statut d’État sont marqués du plus grand arbitraire, comme la tragédie de la Palestine le montre amplement. Comme on le sait le peuple palestinien qui s’est proclamé État en 1988, a fini par être reconnu comme tel par l’Assemblée générale des Nations unies en 2012, mais pas comme État membre. La menace du veto américain a empêché jusqu’ici son adhésion comme membre à part entière. L’arbitraire apparaît aussi avec la multiplication des micro-États que l’on a admis pour des raisons politiques. Par ailleurs, les dislocations de l’URSS et de la Yougoslavie ont laissé sans solution des tensions récurrentes comme on le voit avec la guerre en Ukraine, les tensions persistantes sur le Kosovo ou avec le Haut Karabagh.
Fruit de l’histoire et des rapports de force qui s’y sont exprimés, les assises territoriales des États sont précaires et mouvantes. Or les assises territoriales sont le support des populations et la fragilité territoriale des États est l’expression de l’instabilité des populations. Aucun État ne correspond à un peuple parfaitement homogène ethniquement et il suffit souvent d’une allumette idéologique pour enflammer le tissu de l’unité nationale et réveiller les dissensions et rivalités entre les groupes à l’intérieur d’un État. C’est ainsi que partout l’instabilité territoriale conduit à des conflits que les Nations unies sont impuissantes à régler, car elles n’ont élaboré aucune doctrine cohérente qui le permettrait.
Pire encore, a surgi une nouvelle catégorie, celle des États « faillis » dont le nombre a été multiplié à travers des situations dévastatrices. Les Nations Unies, enfermées dans la logique prédominante selon laquelle les sociétés humaines sont nécessairement organisées en États, s’emploient à y remédier par la reconstruction de l’État (state building). La Somalie, le Libéria, la Sierra-Leone, le Liban, la Lybie, le Kosovo ou la Macédoine, le Yémen, l’Irak ou l’Afghanistan, ou encore Haïti, ont été ou sont encore considérés comme des États, mais nécessitant l’appui de forces extérieures pour exister.
L’obstination à ne considérer comme sujets du droit international que les États aboutit à de considérables entorses aux libertés, car cela prive les peuples de la liberté d’adopter d’autres formes de regroupements des humains permettant d’exister dans l’espace international.
Pris sous cette contrainte, le système résiste de diverses façons. Il y a les convulsions récurrentes des peuples qui n’ont pas accès au statut d’État. On y ajoutera les problèmes des minorités qui, sans revendiquer la séparation d’avec leur État, aspirent cependant à plus de libertés, de droits et éventuellement de capacité internationale. Mais il y a aussi d’autres regroupements qui tentent des initiatives pour exister dans l’espace international : tel est le cas de cette coalition de 2.700 villes américaines, États fédérés et entreprises qui sont le nom de "We Are Still In", ont déclaré rester dans l'accord de Paris de 2015 sur le climat et être engagés de leur propre chef par les dispositions de ce traité lorsque Donald Trump a décidé de s’en retirer ; il y a ces régions d’Europe comme la Catalogne espagnole, les îles Baléares et la région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée qui engagent entre elles des coopérations internationales, indépendamment de leurs États respectifs et forment l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée (EPM), Groupement européen de coopération territoriale (GECT) ; il y a aussi ces grandes Organisations non-gouvernementales qui jouent un rôle si actif en faveur de la préparation ou de la révision de grandes conventions en matière de droits humains ou de réductions d’armements, que l’on dit d’elles qu’elles ont un rôle de législateur international. Il y a aussi les Sociétés multinationales qui échappent au droit international, alors qu’elles ont une puissance financière et technologique souvent supérieure à celle des États sur les territoires desquels elles opèrent.
Tous ces acteurs sont tenus à l’écart de la société internationale et même si la doctrine s’efforce de les considérer comme des sujets du droit international, leur place y est secondaire. Ils ne participent pas officiellement à l’élaboration du droit international, ils n’ont pas accès aux juridictions internationales. Ainsi restreinte, la société internationale est profondément anti-démocratique.
Mais les Nations unies se sont engagées au fil des années de manière de plus en plus insistante dans un sorte de contrôle du caractère démocratique des États qui la composent. Il ne s’agit pas toutefois d’un idéal démocratique très élevé. Rabattant la démocratie à des consultations électorales au suffrage universel, l’Organisation fournit aux pays concernés, ceux suspectés d’un manque de démocratie, deux types de services : l’envoi d’observateurs pour cautionner ou critiquer le processus électoral, et la fourniture d’urnes pour recueillir les suffrages, ces actions étant regroupées au sein d’un service intitulé « ingénierie démocratique ». Et l’exigence démocratique des Nations unies ne va pas au-delà de ces marqueurs très superficiels. Aussi le contrôle par les Nations unies du respect des droits de l’homme ne fait peur à aucune dictature, pas plus qu’aux prétendues grandes démocraties dont la police commune laisse se multiplier les morts en Méditerranée sans états d’âme. Et c’est ainsi qu’est née une nouvelle catégorie de régime politique, celle des démocraties illibérales, ce qui exprime à l’évidence une contradiction insurmontable. Ces régimes s’emploient à tuer ce qui avait paru être un progrès général : l’acceptation par tous les États du monde des droits et libertés consacrés par la Déclaration universelle et la reconnaissance de la supériorité de la loi internationale sur les lois nationales. Alors que les mécanismes permettant de garantir cette supériorité auraient à être renforcés, c’est l’inverse qui se produit. Ces mécanismes sont actuellement contestés et affaiblis et la voie des Nations unies est à ce sujet inaudible.
Comment en serait-il autrement de la part d’une organisation composée elle-même sur des bases contestables démocratiquement ? Seules les sociétés reconnues comme États en forment les membres, tout élargissement se fait sur la base du principe de cooptation, toutes les autres forces qui constituent pourtant la vie internationale sont ignorées. Mais le principe démocratique est bafoué de manière plus provocante encore dans la mesure où l’organisation elle-même est fondée sur un principe aristocratique (l’exact opposé du principe démocratique). Une poignée de membres est définitivement dotée d’un statut supérieur et d’un pouvoir de contrôle de toute l’organisation. Et comment peut être démocratique une société (celle des États) dans laquelle la justice n’est pas obligatoire mais seulement facultative ? En effet, la Cour internationale de justice qui juge les différends entre États, n’est compétente que s’il est assuré que les États en litige ont donné leur accord à cette compétence. Or, seulement un tiers des États du monde (et en l’absence des principales des grandes puissances), ont accepté par avance cette compétence.
Ainsi la société mondiale est-elle au défi de son devenir démocratique. Elle ne pourrait l’accomplir qu’en prenant en considération l’ensemble des acteurs internationaux dans leur variété, leur multiplicité et en refusant toute forme de domination, de suprématie de certains acteurs sur tous les autres. Cela suppose, à n’en pas douter, un changement de paradigme impossible avec les dispositions de la Charte qui supposent l’accord des membres permanents du Conseil de sécurité (articles 108 et 109) pour toute révision. Ce constat, ajouté à celui selon lequel le mécanisme de maintien de la paix imaginé en 1945, ne fonctionne plus, comme le démontrent largement les guerres en cours, ne peut conduire qu’à des conclusions radicales. Aussi suis-je convaincue qu’être juriste démocrate, c’est mener la réflexion sur ce que devrait être une autre organisation mondiale qui serait celle des peuples et reprendrait les principes démocratiques avec une force nouvelle .
*Voir à ce propos « Pour un Conseil mondial de la résistance », Monique Chemillier-Gendreau, Ed. Textuel, Paris 2020.
MONIQUE CHEMILLIER- GENDREAU
Pour une cour constitutionnelle mondiale et une Cour mondiale des droits de l'homme
Une distance béante sépare les grands textes sur les droits de l’homme, avec les promesses qu’ils contiennent, et la réalité́ des conditions faites aux humains en ce 21° siècle. On peut à cela discerner quelques causes :
En premier lieu, l’affirmation des droits a, certes, considérablement progressé depuis la création des Nations Unies mais leur mise en œuvre reste faible, les mécanismes mis en place par les Nations unies ne disposant pas de pouvoirs juridictionnels. Seule exception : la Cour européenne des droits de l’homme, instance obligatoire pour les États, détenant le pouvoir de les condamner pour leurs violations de la Charte européenne des droits de l’homme. Mais il s’agit d’une cour régionale à portée géographique limitée.
En second lieu, les disparités d’une région du monde à l’autre font que beaucoup ne bénéficient que de moindres garanties, voire souffrent d’une absence totale de garanties, ce en outre dans les parties de la planète le plus souvent en proie aux guerres et soumises aux régimes les plus dictatoriaux.
En troisième lieu, et il s’agit là d’une cause structurelle, la souveraineté́ des États a limité le droit international à des accords interétatiques.
L’ouverture du monde qui favorise les inégalités, lesquelles engendrent de la violence, exige des réponses de grande ampleur : deux pistes qui ont été́ rappelées ou ouvertes récemment constitueraient des avancées révolutionnaires: l’une est celle d’une Cour mondiale des droits de l’homme ; l’autre est celle d’une Cour constitutionnelle internationale.
Une Cour mondiale des droits de l’homme aurait compétence pour faire appliquer la Charte internationale des droits de l’homme ; elle pourrait être saisie à certaines conditions par tous les humains et ses décisions s’imposeraient aux États.
Une Cour constitutionnelle internationale pourrait contraindre les États à respecter dans leurs systèmes politiques internes les engagements internationaux qu’ils ont souscrits en matière de droits de l’homme et de libertés démocratiques.
Ce projet n’est pas une alternative à la Cour mondiale des droits de l’homme. Il en est complémentaire. Il apparaît que seuls des mécanismes contraignants au niveau mondial sont à même de garantir, pour tous les êtres humains, le respect de leurs droits et de leurs libertés.
Qu’en est-il de l’État de droit aujourd’hui ?
L’État de droit peut se définir comme l’État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées, de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée....
Vers une cour constitutionnelle ?
Avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été introduite, par l’article 61-1, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle ouvre le contrôle de constitutionnalité, traditionnellement resté fermé, en France, aux citoyens dans le cadre d’un litige, et permet potentiellement le contrôle a posteriori de toute loi...
La crise de la justice
La justice n’est pas un sujet démocratique suffisamment discuté, le mouvement de dépolitisation de la question judiciaire s’inscrivant dans une évolution longue...
Du droit à la sûreté au droit à la sécurité
La CNCDH est née par arrêté du ministre des affaires étrangères du 17 mars 1947 pour assurer la veille, au niveau international, des engagements de la France en matière de droits de l’homme....
Colloques
Colloques avec l'Association Européenne des Juristes pour la Démocratie & les Droits de l'Homme
Evolution du droit du travail en Europe sous la pression de l’économie néo-libérale
* Voir le site de l'Association européenne : https://eldh.eu
Une justice pénale européenne
À une époque où le développement de l’Union Européenne et du droit européen est de plus en plus poussé, une des questions majeures qui se trouve soulevée est celle de la coopération policière et judiciaire en matière pénale au sein de l’UE. Sur quels fondements cette coopération est-elle construite et sur quels principes s’appuie-t-elle ? L’organisation au niveau européen d’enquêtes policières et de procédures judiciaires pénales, avec des organes communs dotés de compétences à l’échelle du territoire de tous les États membres, a pour but de mieux lutter contrer une criminalité transnationale désormais organisée en réseaux. Mais permet-elle simplement la nécessaire régulation du nouvel espace européen, ou est-elle, également, l’occasion d’un contrôle renforcé des populations et d’une restriction des politiques d’asile ? Quels sont les dangers qu’elle fait peser sur la protection des droits ?
Puissance de l'argent et impuissance de la justice.
A l’échelle du monde, l’impunité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre a diminué, notamment grâce à la création de la Cour pénale internationale. Mais en même temps, de nouvelles impunités apparaissent. Le détournement des richesses aggrave le sort des plus défavorisés, le développement économique est entravé, les plus pauvres sont eux-mêmes l’objet de trafics (les marchandises, les capitaux, les informations circulent librement, mais non les hommes).
Les défenseurs des droits de l’homme doivent ouvrir un front nouveau. A ce titre, la question des paradis fiscaux et judiciaires est emblématique.
Une conjoncture favorable se présente, dans les années 1990, pour lutter contre les paradis fiscaux, et plus généralement contre la criminalité financière.
L’appel de Genève donne un premier signal fort. Une partie du texte alerte l’opinion sur les carences de la coopération judiciaire en ce domaine. Des initiatives institutionnelles importantes sont aussi lancées. En 1989, le GAFI est créé, organisme intergouvernemental visant à développer et promouvoir des politiques nationales et internationales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’OCDE publie en 1998 un rapport sur la concurrence fiscale dommageable. La conférence des parlements européens contre le blanchiment, qui se tient à Paris en 2002, adopte en la matière un certain nombre de recommandations. En Europe, un groupe de travail composé d’universitaires de 15 Etats membres propose en 1997 un Corpus juris, tendant notamment à la création d’un parquet européen.
Les pratiques également évoluent : un pôle économique et financier est créé à Paris, des magistrats de liaison sont mis en place, des conventions voient le jour et sont ratifiées, notamment sur la corruption d’agents publics à l’étranger.
Les années 1990 montrent ainsi que les questions de corruption, de criminalité politique et financière, de lutte contre les paradis fiscaux peuvent s’imposer sur un agenda politique.
Mais on observe ensuite un retournement de la conjoncture. En avril 2001, les États-Unis refusent de réitérer un soutien à l’initiative de l’OCDE visant à prendre des mesures contre certains pays non coopératifs. Après le 11 septembre 2001, si la question de l’utilisation des paradis fiscaux pour financer le terrorisme est posée, c’est uniquement pour lutter contre des fonds dont la destination est illicite et non pour lutter contre des fonds dissimulés. En France, les lois du 15 mai 2001, du 1er août 2003 ou du 10 mars 2004 ne traitent pas de la question en tant que telle des flux financiers vers les zones offshore. La directive « épargne » de l’Union européenne en 2005 laisse de nombreuses échappatoires en ne portant pas sur les personnes morales ni sur les trusts. En ne mettant pas en place des mécanismes de supervision et de régulation financières et économiques, les États membres se sont laissés déposséder au profit de procédures souvent technocratiques et faisant de plus en plus de place aux décisions d’instances à caractère professionnel, dont il est difficile que les membres ne soient pas en conflit d’intérêts.
Le réseau Tax justice network (TJN) estime à 11000 milliards de dollars le montant des fortunes privées placées dans des paradis fiscaux. Pour l’Afrique, le même réseau TJN évalue à l’équivalent de 30% du PIB de l’Afrique subsaharienne la richesse illégalement transférée à l’étranger.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a cependant bénéficié d’un nouvel élan politique le 21 octobre 2008 lorsque 17 pays de l’OCDE se sont mis d’accord pour intensifier la mise en œuvre complète des normes de transparence et d’échange de renseignements de l’OCDE. La Convention des Nations Unies contre la corruption (Merida/Mexique, 9 décembre 2003) constitue le premier instrument mondial de lutte contre la corruption. Mais la lutte contre la fraude économique et financière doit s’accompagner d’une refonte des appareils policier et judiciaire, structurellement faibles en ce domaine. En résumé, il faut mettre un terme à des politiques nationales et européennes schizophrènes, avec des objectifs proclamés de lutte la criminalité financière et la persistance des entraves aux administrations et à la justice chargées de cette lutte.
L’efficacité commande aujourd’hui de réprimer les comportements nuisibles à la libre concurrence et de nature à appauvrir l’État. Comme le rappelle le groupe de travail parlementaire sur la crise financière internationale, cela impose la remise en cause d'un certain conformisme intellectuel et la fin du laisser-faire. La question n’est pas seulement technique ; elle implique des choix politiques et relève à ce titre de la responsabilité des pouvoirs publics. Une nouvelle éthique de la responsabilité économique doit fonder cette ambition.
Eric Alt, vice-président de MEDEL
(Magistrats européens pour la démocratie et les libertés)
Travaux de la CNCDH
CNCDH- Secrétariat Général Sous commission B
Contribution à l’examen du 3ème rapport périodique de la France par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies
CNCDH- Secrétariat Général Sous commission B
Réponses du gouvernement français aux questions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
Examen du 3ème rapport périodique concernant les articles 1 à 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels