Actualités
Tribune
Uni.e.s contre les inégalités, nous refusons la course à l’extrême droite
Les extrêmes droites, dont la progression se poursuit plus que jamais, exploitent les mécontentements, les ressentiments, les colères...
Action collective
Manifeste pour le droit des associations de choisir librement les causes qu’elles défendent
Des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice ce serait justifier rétrospectivement des actes violents, voire des actes de terrorisme...
Appel pour les libertés, contre les idées d'extrême droite
Depuis maintenant plusieurs mois nous constatons toutes et tous que le climat politique et social en France, comme partout en Europe et dans le monde est de plus en plus imprégné́ par l’extrême droite et ses idées.
Appel contre la proposition de loi sur la sécurité globale
Nous signons aux côtés de 105 organisations la lettre ci-dessous pour nous opposer à la proposition de loi de sécurité globale.
Monique Chemillier-Gendreau
Vers des jours heureux…..
« Quand croît le péril, croît aussi ce qui nous sauve ». (Hölderlin)
7 avril 2020 - Face à l’urgence sanitaire, des mesures de rupture sont nécessaires.
A la suite de la tribune « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », les signataires de cette pétition demandent au gouvernement de prendre immédiatement 4 mesures.
Déclaration commune sur la situation des réfugiés en Grèce - 2 mars 2020
ELDH European Association of Lawyers for Democracy & World Human Rights
Communiqué de presse – 7 octobre 2019
Rappel - Les États Généraux des Migrations (EGM) qui regroupent plusieurs centaines de collectifs et associations locales et nationales, dont l’AFJD, se mobilisent depuis 2017 pour faire entendre leur parole dans l’espace public.
Adoption du projet de loi pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Contre une loi liberticide, une autre politique migratoire est possible.
Tribunal permanent des peuples
Le tribunal permanent des peuples est un tribunal d'opinion qui agit de manière indépendante des Etats et répond aux demandes des communautés et des peuples dont les droits ont été violés.
Les 4 et 5 janvier 2018, la session de Paris a procédé à l'examen de la politique de l'Union européenne et des Etats membres en matière de migrants.
Livres
Corinne Herrmann et Didier Seban
avec Elisabeth Fleury
Editions JCLattès
Mise en examen de Michel Fourniret dans l'assassinat d'Estelle Mouzin (2003), résolution des meurtres de Christelle Maillery (1986) et de Christelle Blétry (1996), réouverture des dossiers des Disparus de l'Isère et de ceux des Oubliés de l'A26, condamnation du tueur en série Emile Louis...A l'origine de ces victoires judiciaires, un tandem d'aovcats dévoués aux "cold cases", ces vieilles affaires criminelles que l'on croit -à tort- définitivement enterrés
Monique CHEMILLIER-GENDREAU
Régression de la démocratie et déchaînement
de la violence
septembre 2019 - Editions Textuel
Alors que les régimes s'en revendiquent, l'idée de démocratie est aujourd'hui vide de sens. Réduite à un ensemble de recettes, la démocratie laisse le champ à des pouvoirs populistes qui n'hésitent pas à se montrer favorables à l'armement des citoyens. Qu'a-t-il donc manqué à la démocratie telle qu'elle a été théorisée, mise en pratique jusqu'ici, pour que les peuples s'en détournent et remettent leurs destins à des dictateurs ou des aventuriers ?
Raphaëlle NOLLEZ-GOLBACH
Quel homme pour les droits ?
avril 2015
CNRS éditions
Tous les êtres humains sont-ils titulaires des droits de l'homme ? Le titulaire des droits de l'homme n'est-il pas simplement réduit au national ? La figure de l'étranger incarne la figure contemporaine du sans-droit et révèle les impasses de l'universalisme théorique de l'homme des droits.
TRIBUNE
Uni.e.s contre les inégalités, nous refusons la course à l’extrême droite
Les extrêmes droites, dont la progression se poursuit plus que jamais, exploitent les mécontentements, les ressentiments, les colères. Colères souvent légitimes face à la dégradation du tissu social, à l’arrogance de pouvoirs oligarchiques, et à tant de renoncements face aux injustices sociales et environnementales, au rythme et aux effets du changement climatique et à l’affaiblissement accéléré des services publics.
Mais les extrêmes droites entretiennent ce ressentiment en désignant des boucs émissaires. Car elles ont besoin que le malheur s’étende : elles en vivent, elles s’en nourrissent. Il leur faut toujours plus de divisions, de fragmentation de la société, de repli sur un passé largement mythifié et une identité nationale fantasmée, d’enfermement dans les murs et les centres de rétention, de frontières barbelées, de rejet de l’autre.
Or plus on divise, plus on affaiblit. Plus on dresse les travailleurs contre les chômeurs vilipendés comme « assistés », les agriculteurs contre les défenseurs du climat, les Français contre les étrangers, les centres ville contre les banlieues, les « Parisiens » contre « la terre qui ne ment pas », les « vieux » contre les « jeunes », et plus on aggrave injustices, inégalités, préjugés et discriminations. Et au bout du compte tous et toutes y perdent… sauf les nostalgiques d’un pouvoir autoritaire derrière qui toute la société marcherait au pas.
La propagande de l’extrême droite et de celles et ceux qui courent après elle, masque le monde réel. Depuis des décennies, ce qui menace la démocratie et le vivre ensemble, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, c’est le recul massif de l’égalité, des solidarités, de l’accès aux droits et de la protection des plus fragiles. C’est le culte du tout marchand, du tout privé, du tout payant, avec toujours plus de personnes, de groupes sociaux et de territoires précarisés, abandonnés, voire méprisés.
Ce ne sont pas les personnes étrangères qui ont fait exploser inégalités et discriminations. Ce ne sont pas les écologistes qui ont ruiné tant de paysans endettés et pressurés par les industries agro-alimentaires. Ce ne sont pas les « jeunes des quartiers » qui ont construit, abandonné puis laissé se dégrader les quartiers populaires où se concentrent depuis si longtemps misère, chômage et précarité. Ce ne sont pas les militants syndicaux qui ont fermé les usines ou dégradé les services publics.
De tout cela bien sûr, l’extrême droite ne dit rien. Mais nous — associations, syndicats, acteurs et actrices de la solidarité, citoyennes et citoyens engagés dans la société civile —, nous disons aujourd’hui qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux. Car le danger grandit, aux portes d’un avenir proche : le danger que triomphent la haine de l’Autre, le repli identitaire, le racisme, l’affrontement de tous contre tous. Que deviendrait alors la démocratie même ?
Oui, il est grand temps de réagir. Nous n’acceptons pas que se poursuivent le saccage de la santé publique — entre « déserts médicaux » et détresse hospitalière —, le séparatisme scolaire des riches et les études de plus en plus chères, les logements de moins en moins abordables pour le plus grand nombre, les services publics qui reculent, les territoires qui vivent la déprise, et leurs habitantes et habitants abandonnés au « chacun pour soi », à la précarité et à l’insécurité sociale.
Croit on que les explosions de colère qui se succèdent sans cesse — « gilets jaunes », révoltes dans les quartiers populaires, colères des agriculteurs — arrivent par hasard ? Les mauvais coups portés aux retraites, au logement social, à l’agriculture paysanne et maintenant aux allocations chômage profitent aux semeurs de haine, aux entrepreneurs de ressentiment identitaire. Le terreau sur lequel poussent les démagogues de l’extrême droite, c’est l’amertume que provoquent toutes ces régressions malgré des mobilisations souvent très importantes, c’est le sentiment d’une vie toujours plus difficile et précaire.
Peut on continuer longtemps à perdre nos libertés, nos droits, notre espoir d’un avenir meilleur ? Nous savons bien que non. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui font vivre et qui inventent aussi, sur le terrain et dans les partages du quotidien, les solidarités, les coopérations et les mises en commun porteuses de cet avenir meilleur. Ce qui manque pour que toutes ces énergies et ces engagements brisent le cercle vicieux de l’extrême droitisation, c’est une mise en commun visible qui respecte leur diversité tout en conjuguant leurs forces.
C’est pourquoi nous, XXX organisations au cœur de la société civile, avons décidé de proposer aujourd’hui, face à l’extrême droite et aux porteurs de haines, d’injustices et de discriminations, une mobilisation forte et durable contre les inégalités sociales et territoriales. Parce que là sont les vrais enjeux. Parce que là se joue, à court comme à long termes, l’avenir de nos sociétés et de la démocratie.
Et surtout parce que nous portons dans nos engagements, dans nos actions quotidiennes, la conviction que c’est le rassemblement de tous ceux et celles qui veulent plus d’égalité, de solidarité, de justice sociale et fiscale et de respect de toutes et tous qui peut faire reculer le risque du pire et nous redonner espoir dans l’avenir. C’est urgent, c’est nécessaire et c’est possible.
Nous appelons dès aujourd’hui les organisations et les citoyennes qui partagent nos préoccupations et nos valeurs à nous rejoindre. Nous appelons les femmes et hommes politiques qui se considèrent réellement comme démocrates, républicains et humanistes — quelle que soit leur couleur politique — à ne jamais céder aux idées mortifères de l’extrême droite et à s’engager d’urgence et sincèrement dans la lutte contre les inégalités, la crise climatique et pour la reconstitution de notre tissu social. Nous appelons les citoyennes et citoyens à ne pas se résigner : ne pas choisir l’extrême droite pour exprimer sa colère, ne pas renoncer à voter pour désigner des responsables qui seront enfin à la hauteur des défis de notre temps, que ce soit aux niveaux local, national, ou dès le 9 juin au niveau européen.
ACTION COLLECTIVE
Manifeste pour le droit des associations de choisir librement les causes qu’elles défendent
Des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice ce serait justifier rétrospectivement – ou se rendre complice par avance – des actes violents, voire des actes de terrorisme, que d’autres ont commis ou commettront peut-être un jour en invoquant cette même injustice.
« Sous couvert de dénoncer des actes d’islamophobie », lit-on en effet dans le décret de dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie, cette association « distille[rait] un message incitant à percevoir les institutions françaises comme islamophobes, alimentant ainsi un soupçon permanent de persécution religieuse de nature à attiser la haine, la violence ou la discrimination envers les non-musulmans ». Faut-il souligner que l’accusation d’incitation à la discrimination envers un groupe indistinct qui serait constitué des « non musulmans » relève du non-sens ?
Comme dans le cas du CCIF, le décret retient aussi à charge des propos tenus par des tiers sur les réseaux sociaux concernant, par exemple, le grief d’incitation à la violence contre les forces de l’ordre. Cela suffit, aux yeux du ministre de l’intérieur, à caractériser une « stratégie » de l’association qui consisterait à susciter ces commentaires et à les maintenir ensuite « volontairement » en ligne. De même ce sont les commentaires hostiles à la politique israélienne – qualifiés de discours « antisioniste » – qui « appelle[raient] des messages à teneur antisémite ». Le procès d’intention s’accompagne ici de l’amalgame volontairement distillé entre la critique d’Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme.
En somme, une addition de présupposés, d’hypothèses et de supputations permet d’affirmer qu’une association « doit être regardée comme cautionnant » des propos provoquant à la violence ou à la discrimination et que cette prétendue caution suffit elle-même à caractériser des « agissements » de provocation à la violence ou à la discrimination, seuls susceptibles de justifier une dissolution.
Le silence qui accompagne l’enchaînement de ces mesures de dissolution est alarmant. D’abord parce qu’il peut être perçu comme un assentiment tacite et ouvrir la voie à d’autres décisions analogues, désormais facilitées par la loi « confortant le respect des principes de la République » promulguée le 24 août 2021. Ensuite parce qu’il conforte le soupçon d’illégitimité que le gouvernement fait peser sur les combats menés, sur le terrain du droit, contre les discriminations subies par des personnes musulmanes ou considérées comme telles. Ce silence, c’est en somme une façon d’accepter l’invisibilisation des discriminations et des injustices, d’accepter que des milliers de personnes soient laissées sans soutien, isolées, niées dans l’humiliation éprouvée ou le déni de leurs droits.
Se taire face à ces dissolutions et aux faux semblants de leur motivation, c’est ne pas voir que, demain, la défense d’autres causes pourra subir le même ostracisme et la même sanction. Ici, c’est le concept d’islamophobie dont on comprend qu’il devrait être banni. Mais ne nous dit-on pas aussi qu’il serait abusif, voire diffamatoire, de parler de « violences policières » ? Nous reprochera-t-on demain de dénoncer la xénophobie à l’œuvre dans les politiques migratoires au motif que c’est faire insulte à ceux qui nous gouvernent et – qui sait ? – susciter dans la population immigrée la haine de la France et des Français ? De même encore, faudra-t-il proscrire l’expression « délit de solidarité », sous prétexte que l’aide aux migrant·es est censée ne plus faire l’objet de poursuites ? N’a-t-on pas reproché aux mouvements anticoloniaux d’encourager des sentiments de révolte inadmissibles ? Et que dire de concepts comme le genre, l’intersectionnalité ou le racialisme, dont l’usage est décrié sous prétexte qu’il ouvrirait la voie au « séparatisme » et au « communautarisme » ?
Pour garantir leur survie, les associations devront-elles éviter les termes qui sentent le soufre, mettre leurs analyses sous le boisseau, s’interdire certaines modalités d’action ?
Nous, associations et syndicats, rappelons qu’il nous appartient – et à nous seuls – de décider si nous voulons, ou non, dénoncer et combattre, parmi d’autres discriminations et stigmatisations, cette injustice particulière nommée islamophobie.
Nous déclarons que nous continuerons à choisir librement l’objet de nos combats ainsi que les termes que nous considérons pertinents pour analyser l’état de la société et critiquer les politiques comme les pratiques des pouvoirs publics.
Nous revendiquons le plein exercice de la liberté d’opinion, qui inclut la libre contradiction et exclut toute police des idées.
Nous entendons, tout simplement, que soit respectée la liberté d’association.
20 novembre 2021
Communiqué
Appel pour les libertés
Depuis maintenant plusieurs mois nous constatons toutes et tous que le climat politique et social en France, comme partout en Europe et dans le monde est de plus en plus imprégné́ par l’extrême droite et ses idées.
Face à ce climat de haine, raciste et attentatoire aux libertés individuelles et collectives, nous appelons à une réaction forte, unitaire et rassembleuse, pour réaffirmer notre combat commun contre l’extrême droite, ses idées, et toutes celles et ceux qui participent à sa propagation.
De Bolsonaro à Trump en passant par Orban et Salvini, nous assistons à une offensive raciste et réactionnaire particulièrement inquiétante pour l’avenir de la planète. En France, cette offensive raciste à pour corollaire la multiplication des politiques sécuritaires, liberticides et antisociales.
Ce climat ne doit rien au hasard. Le gouvernement, et ses quatre vigies, Darmanin, Vidal, Blanquer et Schiappa, se chargent de l’alimenter depuis des mois. De la loi sécurité́ globale à la loi sur le séparatisme en passant par la chasse à l’islamo-gauchisme et la suppression de l’Observatoire de la laïcité́, ce quinquennat accumule les gages à destination de l’extrême droite, en reprenant ses éléments de langage mais aussi certaines de ses propositions.
Quand on souffle sur des braises incandescentes et qu’on passe son temps à attiser les haines, cela a des conséquences concrètes. Cela peut même conduire au pire comme nous l’avons vu récemment avec l’attentat contre la mosquée de Bayonne.
Après l’envahissement du Conseil régional d’Occitanie par l’Action Française, le saccage d’une librairie et l’attaque de la marche lesbienne à Lyon par des identitaires, les polémiques sur le prétendu islamo-gauchisme et le prétexte de groupes de parole entre personnes discriminées pour attaquer l’UNEF ou s’en prendre à Audrey Pulvar, un cap supplémentaire vient d’être franchi.
En moins de 72h un néo-nazi voulant mener un attentat contre la mosquée du Mans a été arrêté, la mosquée de Nantes a été, elle, incendiée, et le centre culturel islamique de Rennes a été recouvert de tags islamophobes.
Un appel de militaires factieux, s’appuyant sur la chasse aux sorcières, lancée par des membres du gouvernement, est diffusé par l’hebdo d’extrême droite Valeurs Actuelles et est soutenu par Marine Le Pen sans réaction d’Emmanuel Macron ni que gouvernement ne porte plainte devant la justice.
Nous ne pouvons accepter que celles et ceux qui subissent haine, discrimination, et injustice soient aujourd’hui accusés de racisme et jetés en pâture par l’extrême droite.
Nous ne pouvons plus accepter les menaces directes qui nous sont maintenant faites.
Nous, militant-e-s politiques, associatifs, syndicalistes et personnalités de la société́ civile appelons à une grande manifestation au printemps 2021 pour dire non à l’extrême droite, à ses idées qui se propagent jusqu’au gouvernement et défendre nos libertés individuelles et collectives.
Nous nous adressons aux associations, syndicats, collectifs, partis qui partagent le fond de cet appel pour qu’ils se réunissent afin d’en construire les conditions.
Marche du 12 juin 2021 pour les libertés et contre les idées d’extrême droite
Depuis maintenant plusieurs mois nous constatons un climat politique et social alarmant. S’allier avec l’extrême droite ou reprendre ses idées ne constituent plus un interdit. Les propos et actes racistes et sexistes au travail et dans la vie se propagent. Les attaques contre les libertés et les droits sociaux s’accentuent gravement. Dans ce contexte politique, économique, social et sanitaire les injustices explosent et génèrent une forte misère sociale.
Plusieurs lois liberticides organisent une société autoritaire de surveillance et de contrôle qui empêcheraient d’informer sur des violences policières, déjà trop importantes. De plus, si certaines de ces lois stigmatisent une partie de la population en raison de sa religion, d’autres en ciblent en raison de leur activité militante.
Nous ressentons toutes et tous l’urgence de construire une réponse forte et unitaire qui dessine l’alliance des libertés, du travail et d’un avenir durable.
Face à ce climat de haine, raciste et attentatoire aux libertés individuelles et collectives, nous avons décidé collectivement d’organiser le samedi 12 juin une première grande journée nationale de manifestation et de mobilisations qui se déclinera localement.
Cette journée fait partie des initiatives unitaires qui se multiplient. D’ores et déjà, nos organisations syndicales, politiques, associations, collectifs, signataires de l’appel, ont décidé de co-construire ce combat dans la durée.
Communiqué
Appel contre la proposition de loi sur la sécurité globale
Nous signons aux côtés de 105 organisations la lettre ci-dessous pour nous opposer à la proposition de loi de sécurité globale.
Nous nous opposons à la proposition de loi « sécurité globale ». Parmi les nombreuses propositions dangereuses de ce texte, trois articles risquent de limiter la liberté de manifester dans des proportions injustifiables, liberté déjà fortement restreinte sur le terrain et de nouveau remise en cause par le Schéma national du maintien de l’ordre.
L’article 21 concerne les caméras portables qui, selon les rapporteurs du texte, devraient équiper « toutes les patrouilles de police et de gendarmerie […] dès juillet 2021 ». S’il est voté, le texte autorisera donc la transmission des flux vidéo au centre de commandement en temps réel. Cela permettra l’analyse automatisée des images, et notamment la reconnaissance faciale des manifestants et des passants, en lien avec les 8 millions de visages déjà enregistrés par la police dans ses divers fichiers.
Ces nouveaux pouvoirs ne sont justifiés par aucun argument sérieux en matière de protection de la population et ne s’inscrivent aucunement dans une doctrine de gestion pacifiée des foules. L’effet principal sera de faciliter de façon considérable des pratiques constatées depuis plusieurs années en manifestation, visant à harceler des opposants politiques notamment par des placements en « garde à vue préventive », par l’interdiction de rejoindre le cortège ou par des interpellations arbitraires non suivies de poursuites. Ces pratiques illicites seront d’autant plus facilement généralisées que l’identification des militants et des militantes sera automatisée.
L’article 22 autoriserait la surveillance par drones qui, selon le Conseil d’État, est actuellement interdite. Ici encore, la police n’a produit aucun argument démontrant qu’une telle surveillance protégerait la population. Au contraire, nous avons pu constater en manifestation que les drones sont avant tout utilisés pour diriger des stratégies violentes contraires à la liberté de manifester : nassage, gaz et grenades lacrymogènes notamment. Comme pour les caméras mobiles, la reconnaissance faciale permettra ici aussi d’identifier des militantes et militants politiques.
En clair, le déploiement massif des caméras mobiles et des drones, couplés aux caméras fixes déjà existantes, entraînerait une capacité de surveillance généralisée de l’espace public, ne laissant plus aucune place à l’anonymat essentiel au respect du droit à la vie privée et ne pouvant avoir qu’un effet coercitif sur la liberté d’expression et de manifestation.
L’article 24 vise à empêcher la population et les journalistes de diffuser des images du visage ou de tout autre élément d’identification de fonctionnaire de police ou militaire de gendarmerie. Autrement dit, les images des violences commises par les forces de l’ordre ne pourront dés lors plus être diffusées. Le seul effet d’une telle disposition sera d’accroître le sentiment d’impunité des policiers violents et, ainsi, de multiplier les violences commises illégalement contre les manifestantes et manifestants.
Nous appelons les parlementaires à s’opposer à ces trois dispositions qui réduisent la liberté fondamentale de manifester dans le seul but de faire taire la population et de mieux la surveiller.
Monique Chemillier-Gendreau
Vers des jours heureux…..
« Quand croît le péril, croît aussi ce qui nous sauve ». (Hölderlin)
Un virus inconnu circule autour de la planète depuis le début de l’année. Péril mortel et invisible, nous obligeant à nous écarter les uns des autres comme si nous étions dangereux les uns pour les autres, il a retourné les tréfonds des sociétés comme on retourne un gant et il a mis au grand jour ce que l’on tentait jusqu’ici de masquer. Sans doute provoque-t-il un nombre important de morts et met-il sous une lumière crue les limites des systèmes de santé des pays développés, y compris les plus riches d’entre eux. Sans doute, ailleurs, expose-t-il les populations de pays plus pauvres à un extrême danger, les contraignant pour se protéger à accomplir une obligation impossible, le confinement. Mais ceci n’est que la surface des choses.
Le gant retourné donne à voir la voie périlleuse dans laquelle le monde se trouve engagé depuis des décennies. En mettant les services hospitaliers sous contrainte budgétaire, là où ils étaient développés, et en les négligeant là où ils sont insuffisants, les responsables politiques affolés se sont trouvés pris de court devant l’arrivée de la pandémie. En France, l’impréparation criante à ce type d’évènements, la liquidation coupable de la réserve de masques, la délocalisation de l’industrie pharmaceutique avec pour seule raison la recherche de profits plus grands, la faiblesse des moyens de la recherche scientifique, mettent le gouvernement en situation d’improvisation. En prenant le chemin du confinement dont il ne sait comment sortir, il s’est engagé dans la voie d’une mise en cause radicale des libertés publiques. S’étant privé des autres moyens de protection de la population, il bénéficie d’un acquiescement forcé de cette dernière. Pour le cas où cet acquiescement manquerait, un discours moralisateur et culpabilisant se déploie. Et pourtant, partout, d’innombrables initiatives contredisent l’individualisme entretenu par le modèle économique et social et témoignent de la permanence de la fraternité entre les humains.
Mais le gant retourné fait apparaître aussi, au moins aux yeux les plus lucides, que la réponse aux enjeux auxquels l’humanité dans son ensemble est en ce moment confrontée, ne saurait être une addition de politiques nationales, encore moins si ces politiques tentent de se mener en vase clos. Il y manquera toujours une part, celle de la communauté des humains qui ne peut refuser plus longtemps de se voir pour ce qu’elle est : une communauté de destin, ce qu’Hannah Arendt nommait une association politique d’hommes libres.
Ainsi, derrière la crise sanitaire qui est au premier plan, avec la crise économique qui s’amorce et la catastrophe écologique en cours, c’est une crise de civilisation qui émerge enfin. Le monde entièrement dominé par le système capitaliste qui ne cesse de creuser les inégalités et de détruire la nature, est aujourd’hui un bateau ivre qui n’a d’autre horizon que son naufrage à travers des violences insoupçonnées.
S’il est encore temps de reprendre les commandes, alors ce séisme inédit est l’occasion que le monde doit saisir pour rompre enfin avec sa destruction largement amorcée et inventer une société entièrement différente. Ainsi, ayant conjuré la terreur de l’inconnu, les peuples danseront de joie sur les décombres du vieux monde qui menaçait de les emporter.
Pour cela, il faut :
- ne pas tricher avec les constats qu’il y a lieu de faire ;
- mesurer les risques d’une sortie de crise orientée à un retour à la situation antérieure ou à d’autres dérives ;
- saisir cette opportunité pour poser les fondements radicalement différents d’une société mondiale juste et viable.
I – Les constats.
1. Les deux éléments qui ont été visibles dès le début de la pandémie sont relatifs à la crise hospitalière et à la non maitrise de la production pharmaceutique et de produits sanitaires au sein des États.
Pour ce qui est des hôpitaux et pour ne prendre que l’exemple de la France (pays qui reste parmi les plus favorisés dans ce domaine), la logique libérale a conduit depuis plusieurs années à la fermeture de lits d’hospitalisation et à la tarification à l’activité conduisant à une restriction continue des moyens. La logique managériale des entreprises a contaminé la sphère publique et lui a fait perdre de vue sa finalité, une meilleure santé pour tous.
Pour ce qui est de l’industrie pharmaceutique, élément clef dans la protection de la santé d’une population, elle a été livrée aux intérêts de grands groupes financiers et délocalisée quasi entièrement vers des pays à bas coûts de main d’œuvre.
2. La crise fait apparaître cruellement les inégalités qui marquent toutes les sociétés. Elles ne sont pas de même nature selon que l’on dispose de systèmes de solidarité comme ceux mis en place après la précédente catastrophe mondiale (la Guerre de 1939-45), ou que l’on se trouve dans des sociétés où rien de tel n’existe, ou au seul bénéfice d’un petit nombre, ce qui est le cas des Etats-Unis d’Amérique, comme de tous les pays dits en voie de développement. Ces inégalités sont aujourd’hui béantes devant le risque de maladie et de mort. Elles vont s’aggraver dans les mois à venir avec les conséquences économiques de la pandémie.
3. Cette pandémie a révélé aussi l’usure des démocraties. Les méfaits de trop de centralisme et d’un système vertical de pouvoir dans un pays comme la France, sont apparus avec l’uniformité des mesures prises sur l’ensemble du territoire. Nécessaires dans les zones les plus touchées, elles ont semblé inexplicables dans d’autres régions moins affectées par le virus. Un État décentralisé comme l’Allemagne a fait face à la pandémie dans de meilleures conditions. Dans bien des pays, la perte de crédibilité des gouvernants a accompagné l’insatisfaction croissante des peuples à l’égard des formes représentatives de la démocratie qui sont épuisées.
4. Les États confrontés à une situation dont ils portent en grande partie la responsabilité, mettent en œuvre des politiques de soutien économique, dirigées soit vers les individus, soit vers les entreprises. Mais ces mesures d’urgence laissent entières des questions à venir : jusqu’où ira ce soutien, notamment lorsque le bilan de la crise pourra être dressé et qu’il fera apparaître des faillites en grand nombre ? S’agira-t-il d’un soutien durable aux activités vitales, telles qu’elles sont apparues si clairement pendant cette crise, ou de la mise sous oxygène des marchés financiers, sans qu’obligation leur soit faite de maintenir et développer ces activités vitales ? Comment sera financé à terme l’immense endettement dans lequel vont se trouver les États ?
5. Le virus a montré sa capacité à se répandre d’un bout à l’autre de la Terre. Et la pandémie a révélé crument le décalage entre l’économie engagée profondément dans la globalisation, notamment avec les délocalisations de productions essentielles conduites à partir de facteurs de pure rentabilité financière et sans tenir compte des coûts sociaux et environnementaux engendrés, et la politique, restée aux mains d’États nationaux. La faiblesse de l’Union Européenne dans cette crise, mais aussi, moins visible, l’échec, plus profond et radical du système des Institutions internationales, l’Organisation des Nations Unies et les organisations satellites qui en dépendent (dont l’Organisation mondiale de la santé), donnent à voir crûment le déséquilibre mortel d’une économie globalisée sans accompagnement d’institutions politiques capables d’imposer le bien-être général et la protection de l’environnement. Ainsi, le renouveau de la coopération internationale, fondé sur la nécessité d’une solidarité mondiale entre tous les humains, sera-t-il, sans aucun doute, au cœur des réflexions à venir.
6. Cette dérive de l’économie hors contrôle politique, a conduit depuis plusieurs décennies le capitalisme à assouvir les exigences de rendement des détenteurs du capital, lesquelles se révèlent illimitées. Le capitalisme qui a été d’abord un capitalisme marchand avant de devenir industriel au XVIII è siècle, puis financier au XX è, est entré dans une nouvelle phase, celle du capitalisme numérique. Il apparaît clairement qu’il entend saisir l’opportunité de cette crise, pour consolider
cette mutation et accroître la rente qu’il retire des activités dans ce domaine et imposer désormais partout le travail à flux tendu. La question est alors de savoir si le système poursuivra sa route en entrainant l’humanité dans une impasse mortelle, ou si un nouveau projet politique de la bonne échelle et avec les bons objectifs peut encore éviter le naufrage.
7. L’argument ayant servi à la dégradation des services publics dans les pays où ils étaient solides et à l’incapacité d’en doter les sociétés où il n’y en a jamais eu, est, uniformément, celui de l’absence d’argent public disponible à cet effet. Mais aucun État n’a réussi à mettre en place une politique efficace contre la corruption et contre l’évasion fiscale, ces fléaux mondiaux. On sait pourtant que c’est dans la lutte contre ces maux que se niche la possibilité de dégager des sommes considérables pour les politiques publiques. Pourquoi l’Union Européenne qui affiche sa volonté de lutte contre les paradis fiscaux, n’a-t-elle pas réussi à éliminer ceux qui dépendent du Royaume Uni lorsqu’il était encore membre de l’Union, ou ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’Union (Luxembourg, Irlande, Malte, Chypre) ?
8. Parallèlement, les États, sans exception, y compris ceux parmi les plus pauvres, ont développé des budgets militaires considérables. Dans une partie importante du monde, y compris dans des pays émergents, les économies sont des économies militarisées. Dans de nombreux pays, les polices sont elles-mêmes militarisées. Cette importance d’armements de plus en plus sophistiqués à la disposition de toutes les armées, entretient des conflits auxquels le reste du monde est devenu indifférent en dépit de l’immense détresse infligée aux populations (Syrie, Yémen, Mali, entre autres). Le désarmement pourtant au programme de l’Assemblée générale des Nations Unies, ou la réglementation générale des armements, posée par la Charte des Nations Unies comme l’une des responsabilités du Conseil de sécurité, n’ont jamais été pris au sérieux. Les cinq États, membres permanents de ce Conseil, sont les plus grands marchands d’armes. Et le droit international humanitaire développé à travers les Conventions de Genève et bien d’autres textes, reste de nature incantatoire. Enfin, il faut dénoncer dans ces budgets militaires considérables, la place de l’arme nucléaire à laquelle tiennent si farouchement les puissances qui en revendiquent l’exclusivité. Objet d’un consensus politique, ces armes absorbent une part considérable des budgets publics (37 milliards d’Euros sont prévus en France pour la modernisation de ces armements). Contrairement à une doxa partagée, ces armes n’assurent pas la sécurité du monde. Elles le mettent en extrême danger.
9. Enfin, le constat le plus important à retirer du chaos actuel, est celui du lien entre cette crise en apparence sanitaire, et la catastrophe écologique qui en est la source. Sensibles désormais aux changements climatiques perceptibles dans la vie des individus, nos sociétés le sont moins aux bouleversements de la biodiversité. Et pourtant, le dérèglement des écosystèmes et des habitats naturels favorise la transmission des agents infectieux en privant les virus de leurs hôtes habituels ou en les rapprochant des concentrations urbaines. Les monocultures et l’élevage industriel recourent à un nombre toujours plus réduit de variétés et souches, généralisant sur la planète des populations génétiquement très similaires qui augmentent les probabilités de mutation des pathogènes. L’emploi massif de pesticides et d’antibiotiques expose au risque de sélectionner des formes résistantes ou tolérantes aux moyens de luttedisponibles. Et la pandémie en cours n’était imprévisible que pour les gouvernements sourds à tous les avertissements, car elle ne l’était pas pour des chercheurs peu écoutés, travaillant sur la protection de la nature et le changement d’affectation des terres (déforestation, extension des terres agricoles ou des zones urbaines et péri- urbaines, élevages industriels) et inquiets de la destruction de l’autorégulation des écosystèmes. Le problème n’est donc pas seulement de contenir les épidémies, mais aussi d’entraver les processus permettant leur émergence.
II – Les risques ouverts à l’occasion de cette pandémie.
1. Le premier et sans doute, le plus grand de ces risques, est celui d’une reprise du cours des choses comme elles allaient jusqu’ici, c’est-à-dire d’une course à la globalisation (à distinguer de la mondialisation) sans frein ni contrôle. C’est alors courir après le même modèle économique productiviste, polluant et non soutenable, la même division internationale du travail, la même culture de la consommation, la même austérité pour les budgets publics, avec la poursuite de la dégradation des services publics de santé et d’éducation, la restriction continue des budgets dédiés à la recherche, au logement, aux transports, à la culture, les mêmes attaques plus ou moins sournoises contre les droits sociaux, le même engouement pour les partenariats publics/privés (PPP) avec leurs conséquences désastreuses à terme pour les finances publiques, la même soumission des États aux intérêts de la finance mondiale, le même effacement de la distinction entre ce qui relève de l’intérêt général et ce qui est sous la logique du profit, et pour les peuples que leur position dans la chaine de production a permis de sortir du sous-développement, la même frénésie de consommation. Le déploiement des industries du numérique et l’extension de leur champ à la suite du confinement des populations (télé-travail, télé-enseignement, contrôle des populations), vont entrainer l’essor des multinationales dans ce domaine, et leur domination sur les vies, déjà perceptible avant 2020, s’accentuera rapidement. Les conséquences de ces tendances sont connues. Nous pouvons donc dresser le tableau de la société qui poursuivrait dans cette voie : reprise de productions à coût carbone élevée, tourisme de masse, commerce international débridé suite à des productions de plus en plus délocalisées, agriculture intensive, déforestation, inertie face aux attaques à l’environnement, creusement toujours plus marqué des inégalités, accroissement des migrations et répression des migrants, recul de la culture, déclin de la science et retour des croyances, perte des libertés et contrôle accru des populations, opérations militaires à coût humain élevé et désastreuses du point de vue de l’environnement.
2. Le second risque est déjà en germe dans nos sociétés. Il est celui d’une exaspération des égoïsmes nationaux avec un renforcement du protectionnisme et du souverainisme qui l’accompagne. Ces termes induisent une grande confusion, car ils laissent croire à des situations « pures » là où la réalité est toujours métissée. Même sous la logique dominante à l’Organisation mondiale du Commerce dont le but est de favoriser une ouverture toujours plus grande des marchés, les États ont continuellement rusé pour protéger leurs économies. L’affichage récent pour plus de protectionnisme n’est que l’aveu de l’échec de toute recherche de l’intérêt mutuel des peuples. Couplé au concept de souverainisme, le retour de faveur pour le protectionnisme n’est dangereux que s’il est pensé à partir des intérêts exclusifs d’une nation, sans prise en considération de celui des autres. L’on sait à quoi ont conduit ces doctrines par le passé avec la mise en concurrence des sociétés jusqu’à leur affrontement. Aujourd’hui, les gouvernements affolés, protègent leurs approvisionnements en médicaments et matériels sanitaires, vont jusqu’à s’emparer parfois sans vergogne de ceux des autres et tournent le dos à l’indispensable solidarité internationale.
Nous avons oublié que ce sont les courants de la philosophie solidariste qui ont, après la Première guerre mondiale, donné naissance à une première tentative d’organisation internationale avec la Société des Nations. Cette ébauche n’a pas survécu à la crise des années 30 et à la militarisation forcenée que cette période a connue et elle n’a pas pu empêcher l’affrontement de la Seconde guerre mondiale. Ensuite, avec la création des Nations Unies en 1945 et des organisations spécialisées, l’on avait cru construire un monde plus solidaire avec des mécanismes multilatéraux de nature, pensait-on, à garantir la paix et la régulation économique et financière. À l’échelle européenne, l’on était allé plus loin en imaginant une intégration qui a permis d’éloigner le spectre des guerres intra européennes. Mais à ces deux niveaux, européen et mondial, il a manqué à ces organisations de devenir représentatives de véritables communautés politiques. L’espace politique est resté national.
Et l’erreur a été de faire coexister le concept de souveraineté compris non comme la légitime autonomie d’un peuple, mais comme l’indépendance absolue d’un pouvoir, avec le projet de construire la paix sur l’interdiction du recours à la guerre et sur le respect de la norme du droit international. Le maintien de cette ambiguïté a conduit à l’affaiblissement des Nations Unies. En appeler au retour des souverainetés, c’est enterrer le multilatéralisme, avec les défauts qui l’ont porté à l’échec, mais aussi avec l’espérance qu’il avait annoncée.
3. Le troisième risque, lié au précédent, est celui d’ouvrir la porte à des modes de gouvernance par les peurs, avec toutes les blessures que cela occasionne à la démocratie. La pandémie s’inscrivant dans le développement des réseaux sociaux, a pour résultat une fragilisation de l’information. Devenue incertaine, celle-ci favorise les angoisses collectives. Ces angoisses sont le meilleur terrain pour laisser s’épanouir les tentations des pouvoirs à se durcir. Le souci de la sécurité prime alors sur celui de la liberté. Et les esprits apeurés ne comprennent pas que l’un et l’autre sont liés. Le monde entier s’est ainsi plié en quelques semaines à la privation de l’une des premières libertés, celle d’aller et de venir. La nécessité de mesures d’urgence vient à point pour tous les pouvoirs exécutifs galvanisés par les métaphores militaires.
III – Les fondements d’une société radicalement différente.
Une société mondiale décidée à éviter un effondrement menaçant devra, pour survivre de manière saine et durable à la crise sanitaire en cours, opérer une conversion complète. Longue et difficile, celle-ci peut cependant être féconde si les prémisses en sont posées solidement. Elles le seront si un accord se construit dans les profondeurs des sociétés sur des principes considérés comme intangibles et des institutions aptes à les mettre en œuvre. Ces principes devront être débattus puis partagés aux différents niveaux, national, régional, universel. Devenus communs, ils permettront à l’humanité d’entrer dans la voie d’une communauté politique fondée sur une promesse, celle que les humains se font entre eux de respecter ces principes au bénéfice de tous. Les institutions doivent être de nature libératrice, de manière à offrir à chacun la garantie d’avoir accès à la réalisation de la promesse. L’ensemble doit former un nouveau
Pacte mondial permettant de renouveler l’idée de sûreté dans une conception démocratique de la vie sociale, et cela au niveau national comme au niveau mondial.
A – Des principes indérogeables.
1. Considérer les droits de l’homme tels qu’énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que dans les deux Pactes des Nations Unies pour les droits civils et politiques et pour les droits économiques, sociaux et culturels, comme intangibles et comme justiciables devant toutes les juridictions nationales et internationales. Donner la même force aux Conventions de Genève et aux autres textes formant le droit humanitaire en cas de conflit armé, notamment les Traités prévoyant l’interdiction de certaines armes.
2. Parce qu’il n’y a pas de droits pour les uns, sans obligations pour les autres, promouvoir dans de brefs délais une Déclaration universelle des responsabilités humaines, sociales et environnementales qui s’adresserait aux États, aux entreprises, aux organisations internationales et aux personnes physiques. Il s’agit de ne pas se satisfaire du timide mouvement amorcé pour faire reconnaître la responsabilité sociale et environnementale des sociétés multinationales, mais d’impliquer tous les acteurs totalement dans la poursuite d’un intérêt général mondial. Cette Déclaration servirait de référence normative universelle à toutes les juridictions saisies des demandes en réparation de la part des victimes de droits fondamentaux.
3. Penser les intérêts de chaque peuple à la lumière d’un intérêt global et considérant la protection de cet intérêt commun de tous les peuples comme le principe fondamental de la société mondiale, mettre les impératifs découlant de la loi du marché en position d’exception. Cela doit conduire par exemple à privilégier les circuits d’approvisionnement les plus courts pour les produits alimentaires ou essentiels. Il s’agit d’inverser le paradigme jusqu’ici dominant et de réintroduire le droit des affaires dans une hiérarchie des normes lui interdisant de contrevenir à des règles de droit public supérieures, celles visant au bien-être des individus et à leur protection ainsi qu’à celle de la nature.
4. Prendre acte de l’interdépendance de tous les peuples et de la nécessité que les relations entre eux soient régies par un droit international permettant la protection des plus faibles et s’imposant aux plus forts dont la souveraineté doit plier devant les exigences de la communauté mondiale.
5. Remplacer la compétition par l’entraide, et considérer les activités concourant au Bien commun (protection de la santé, accès général aux médicaments, à l’eau, protection de l’environnement, recherche scientifique publique, accès de tous à l’enseignement, à un logement décent, aux transports, à la culture, à une information fiable), comme relevant de la protection de l’intérêt général. Les organismes concernés, à l’échelle internationale (OIT) comme nationale, doivent revoir la hiérarchie des métiers (et les rémunérations afférentes) en fonction de l’utilité commune.
6. Mettre en œuvre le désarmement sur la base du principe formulé à l’article 26 de la Charte des Nations Unies (voir par. 8 des constats) et définir quel est le minimum des ressources humaines et économiques du monde qu’il convient d’affecter aux armements qui restent nécessaires, mais seulement dans deux cas: celui où un peuple se trouve en situation de légitime défense ou lorsqu’il doit participer à des opérations de sécurité collective.
7. Dresser la liste des industries polluantes ou dangereuses pour la santé des humains et l’avenir de l’humanité et de la nature, et les interdire sans possibilité de différer. Orienter l’ensemble du transport terrestre international, passagers comme marchandises, vers le ferroviaire. Mettre en place des politiques de reconversion économique de nature à protéger tous ceux qui devraient de ce fait abandonner leur emploi et s’engager dans de nouvelles activités.
8. Réduire les inégalités par l’application universelle de principes de justice fiscale s’imposant à tous les États et les conduisant à écrêter les revenus dès lors qu’ils s’écartent d’un rapport de 1 à 5 entre les revenus les plus bas (il s’agit des revenus garantis) et les revenus les plus élevés.
9. Créer un Fonds mondial de solidarité sanitaire, sociale, écologique et pacifique financé par des mesures fiscales internationales portant sur les transactions financières, sur les revenus des multinationales et sur les activités polluantes. Il aurait pour objectif :
- d’assurer des conditions de mise sur le marché mondial des médicaments indispensables de nature à en permettre l’accès à tous ;
- de soutenir les politiques de reconversion professionnelle nécessaires en application des principes 6 et 7 ;
- d’aider les États dans lesquels les populations ont profité des délocalisations et qui pâtiront d’un retour vers des circuits de production courts ;
- de promouvoir les droits sociaux dans les pays où ils sont insuffisants ou même inexistants, afin qu’ils s’alignent sur les standards les plus favorables ;
- de soutenir chaque État qui se trouve amené, pour protéger l’intérêt général de son peuple, à procéder à des nationalisations ou à des prises de participations publiques.
10. Afin d’assurer l’indépendance des responsables politiques dans leurs prises de décision, et les libérer de l’obsession de la réélection, faire de la règle selon laquelle aucun mandat politique de niveau national ou international ne peut être renouvelable, une norme universelle.
B – Les Institutions.
On ne peut ici qu’esquisser ce que seraient des institutions adaptées au projet d’un monde différent. Une réflexion collective permettra de le préciser plus avant. Mais il devra s’inscrire dans les directions suivantes :
1. Acter l’échec des Nations Unies à être représentatives de l’ensemble de l’humanité et l’impossibilité de les réformer en raison d’une part, de leur dérive bureaucratique, d’autre part du verrou mis dans la Charte à toute vraie réforme par la nécessité que celle-ci soit acceptée par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité. Et, considérant qu’en dépit de réalisations positives, elles n’accomplissent plus aujourd’hui les buts pour lesquels elles ont été créées, prévoir à terme leur dissolution lorsqu’une Organisation mieux adaptée aux temps présents aura été mise en place.
2. Travailler à la création d’une nouvelle organisation politique universelle (qui pourrait s’intituler Organisation Mondiale des Peuples) qui mettrait en œuvre un nouveau Pacte mondial dont les objectifs seraient la paix, la sauvegarde de la nature et la garantie des droits sociaux universels.
Cette Organisation devra assurer :
a) la reconnaissance des différentes communautés nationales et de leurs compétences autonomes dans la mesure où celles-ci sont compatibles avec le respect du droit international5 ;
b) un mécanisme de maintien de la paix, inspiré de celui créé par les Nations Unies, mais confié à un Conseil de sécurité composé de membres pleinement égaux entre eux (20 ou 25) élus tous les 3 ans par le Parlement de l’Organisation ;
c) le respect de la réglementation des armements telle que déterminée par Conseil de sécurité et la mise sur pied d’une force d’intervention réellement internationale et intégrée, capable de donner sens à la notion de sécurité collective ;
d) le caractère indérogeable du droit international par les autorités des différents États. Ce droit international comporte le noyau premier des droits de l’homme tels que visés à l’article 1° des Principes ci-dessus, auquel s’ajouteront la Déclaration universelle des responsabilités humaines visée au principe n°2, ainsi que les normes élaborées par le Parlement mondial ;
e) le caractère démocratique de la nouvelle organisation et notamment des procédures d’élaboration de nouvelles normes internationales. Ces procédures reposeront sur un principe de bicaméralisme, le Parlement mondial bicaméral étant composé d’une Assemblée représentants les États et d’une seconde Chambre représentant des forces sociales proprement dites6. Tous les textes internationaux d’importance dans le champ social ou écologique devront être votés par ces deux assemblées, à condition d’avoir reçu préalablement l’avis conforme d’un Conseil écologique et social. Ce Conseil sera composé pour moitié de membres désignés pour leur expertise et pour moitié de citoyens du monde tirés au sort.
3. Revoir l’ensemble des Institutions spécialisées du système des Nations Unies qui sont devenues le champ de bataille des rivalités entre grandes puissances et lobbies internationaux. Réintégrer une Organisation mondiale du commerce dans le système universel (l’OMC actuelle ne fait pas partie du système des Nations Unies) et la soumettre aux mêmes conditions que les autres institutions spécialisées : celles-ci devront être dotées de véritables pouvoirs réglementaires exercés selon des procédures démocratiques, les assemblées représentant les États, étant là aussi doublées d’assemblées représentant des forces sociales des secteurs concernés par les buts de l’Institution ; des procédures seront mises en place afin d’éviter les conflits de normes en assurant toujours la suprématie de la norme la plus favorable aux libertés et aux droits sociaux et environnementaux.
4. Considérer les grandes institutions régionales déjà existantes (Union Africaine, Union Européenne, Organisation des États américains, et autres organisations régionales) comme les relais institutionnels de l’Organisation universelle et mettre en place des procédures permettant la cohérence entre leurs politiques et les buts de l’Organisation universelle.
5. Renforcer la justice internationale, en :
- rendant obligatoire la compétence de la Cour internationale de justice (actuellement, les États ne sont pas obligés d’accepter cette compétence) et de la Cour pénale internationale (aucun État ne pourrait en refusant d’adhérer à son statut, faire en sorte que ses nationaux soient à l’abri de poursuites devant cette instance) ;
- créant une Cour mondiale des droits de l’homme à compétence obligatoire pour tous les États sur le modèle de la Cour européenne des droits de l’homme ;
- créant une Cour constitutionnelle internationale qui serait à même d’apprécier la conformité des Constitutions des États, de leurs lois et de leurs pratiques administratives par rapport à leurs engagements à travers les Pactes internationaux sur les droits de l’homme.
Envoi.
Les principes ci-dessus définis ainsi que l’esquisse de renouvellement des institutions internationales, sont les conditions de la garantie qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Sans doute certains qualifieront-ils ce projet d’utopiste. Mais le rapport de forces n’est défavorable qu’en apparence. La malédiction du Covid 19 se transformera en une opportunité inouïe si elle est l’occasion pour les peuples de la planète dans toutes leurs composantes (professions essentielles et sous-estimées, travailleurs migrants et/ou saisonniers indispensables, chômeurs victimes de fermetures d’usines par des actionnaires cupides, réfugiés condamnés à une non-vie dans des camps, jeunes privés d’avenir, habitants des bidonvilles et des favelhas, minorités opprimées) de surgir dans un espace public planétaire dont ils sont les citoyens pour dire quel monde ils refusent et quel avenir ils exigent. Alors, ils confirmeront que l’utopie n’est pas le rêve impossible d’imaginations débridées, mais plutôt une façon de dessiner ce qui n’est pas encore advenu et qu’il est en leur pouvoir de faire advenir.
Et ce document n’a pas pour ambition de fournir un projet achevé, mais d’ouvrir le débat…. Avec l’espoir que tous ceux qui s’en empareront sauront lui donner vie.
Paris, 39 è jour du confinement
7 avril 2020 Face à l’urgence sanitaire, des mesures de rupture sont nécessaires. A la suite de la tribune « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », les signataires de cette pétition demandent au gouvernement de prendre immédiatement 4 mesures :
- L’arrêt immédiat des activités non indispensables pour faire face à l’épidémie.
- Les réquisitions des établissements médicaux privés et des entreprises afin de produire dans l’urgence masques, respirateurs et tout le matériel nécessaire pour sauver des vies.
- La suspension immédiate du versement par les entreprises de dividendes, rachats d’actions et bonus aux PDG.
- La décision de ne pas utiliser les 750 milliards d’euros de la BCE pour alimenter les marchés financiers mais uniquement pour financer les besoins sociaux et écologiques des populations.
Il ne s’agit pas ensuite de relancer une économie profondément insoutenable écologiquement et socialement ! Nous demandons que s’engagent sans plus attendre des politiques publiques de long terme pour ne plus jamais revivre ça :
1 Un plan de développement de tous les services publics
2 Une fiscalité bien plus juste et redistributive, un impôt sur les grandes fortunes, une taxe sur les transactions financières et une véritable lutte contre l’évasion fiscale.
3 Un plan de réorientation et de relocalisation solidaire de l’agriculture, de l’industrie et des services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations, de répondre à la crise écologique.
Mobilisons-nous dès maintenant et donnons-nous rendez-vous le "jour d’après" pour réinvestir les lieux publics pour reconstruire ensemble un futur, écologique, social et démocratique, en rupture avec les politiques menées.
Déclaration commune sur la situation des réfugiés
en Grèce - 2 mars 2020
ELDH European Association of Lawyers for Democracy & World Human Rights EJDM Europäische Vereinigung von Juristinnen & Juristen für Demokratie und Menschenrechte in der Welt EJDH Association Européenne des Juristes pour la Démocratie & les Droits de l’Homme EJDH Asociacion Europea de los Juristas por la Democracia y los Derechos Humanos en el Mundo EGDU Associazione Europea delle Giuriste e dei Giuristi per la Democrazia e i diritti dell’Uomo nel Mondo
Les signataires ont pris connaissance de la récente décision du Conseil National de Sécurité grec d’augmenter les mesures de dissuasion aux frontières au niveau maximal, de ne plus enregistrer de demandes d’asile pendant un mois et de renvoyer en Turquie toute personne tentant d’entrer en Grèce illégalement, suite à l’annonce des autorités turques de ne plus retenir les réfugiés à leurs frontières.
Le Premier Ministre grec soutient que ces mesures sont prises en application de l’article 78.3 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne – qui n’autorise pourtant pas de prise de décision unilatérale.
Ces déclarations prennent place dans un contexte de violation massive des droits humains dénoncées de toute part dans le traitement des demandeurs d’asile qui sont retenus dans des hotspots surpeuplés dans les îles de la Mer Égée, qu’il s’agisse de l’accès à leurs besoins de base (logement décent, eau chaude, électricité, nourriture, chauffage, hygiène, santé…) ou de l’accès au droit (accès à un avocat, à une procédure équitable, à des recours effectifs contre les mesures de détention ou d’éloignement…).
Les signataires condamnent fermement toute atteinte aux droits fondamentaux des personnes cherchant asile dans l’Union européenne. En aucun cas, la protection des frontières extérieures de l’Union européenne ne permet aux États membres de l’Union européenne de s’exonérer de leurs obligations découlant de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, qui prohibent les atteintes au droit à la vie, la soumission des individus à des traitements inhumains ou dégradants et le refoulement des demandeurs d'asile. Ni la suspension de l’enregistrement des demandes d’asile, ni les pratiques de pushbacks, ni les renvois expéditifs en Turquie, ni le confinement dans des camps surpeuplés sans accès aux besoins de base et sans accès à des recours effectifs ne sont compatibles avec le droit international des droits de l’homme.
Les signataires tiennent à rappeler que l’Union européenne « se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'Etat de droit », ainsi que l’énonce le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Les signataires invitent
• les institution européennes, dans le cadre de l’application de l’article 78.3 du Traité, à prendre des mesures de répartition des demandeurs de protection internationale – tant ceux qui arrivent que ceux qui séjournent déjà dans des camps surpeuplés –, dans le respect du principe de solidarité et de dignité, assorties de sanctions (financières et judiciaires) pour les États récalcitrants qui mettent en péril l’État de droit ;
• les institutions européennes à faire application de la directive 2001/55/CE spécifiquement prévue en cas d’afflux massif de personnes déplacées, afin que ceux-ci puissent bénéficier d’une protection temporaire.
• les autorités grecques et turques à cesser toute mesure mettant en péril la vie et la dignité humaine ou visant à user de la force contre des personnes déplacées.
• Toutes les parties impliquées à respecter les droits humains et l’État de droit.
Le lundi 7 octobre 2019, les États Généraux des Migrations ont organisé une conférence de presse en réaction à l’actualite politique française.
Ils ont tenu à se prononcer sur le débat sur l’immigration demandé par le président Emmanuel Macron au Parlement, planifié pour l’après-midi à l’Assemblée. Les intervenant.e.s ont présenté leurs craintes et leurs attentes, recommandant aux député.e..s de prendre connaissance des réalités du terrain.
Les intervenants ont présenté leurs inquiétudes face à la multiplication des entraves et atteintes aux droits des exilé..e.s ainsi qu’au durcissement des conditions d’entrée, notamment au regard des annonces faites par le gouvernement en prévision du débat.
S’adressant aux parlementaires, les intervenant.e.s ont rectifié les idées préconçues et autres chiffres erronés que l’on peut entendre au détour des débats, ainsi que certaines fausses informations souvent mises en avant par les partisans d’une politique restrictive de l’asile et de l’accueil des exilé.e.s.
Les acteurs et actrices de terrains ont insisté sur le contexte tendu dans lequel évoluent les associations de solidarité, au contact de personnes migrantes dont le quotidien est traumatique. Le durcissement des discours et des lois ont des conséquences psychologiques et physiques sur les exilé.e.s, conséquences dont les parlementaires sont encouragés à venir prendre connaissance sur le terrain.
Les représentants des organisations ont également rappelé la publication récente des Cahiers de l’inacceptable et des alternatives qui recensent les constats et propositions des citoyen.ne.s solidaires face aux pratiques d’accueil réservé aux personnes migrantes en France.
Le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été adopté par le parlement le 1er août 2018. En dépit de quelques évolutions depuis sa présentation en février, il reste un texte régressif dont l’esprit est dans la droite lignée des politiques qui échouent depuis des décennies. Des solutions alternatives existent pourtant comme le démontre le manifeste des Etats généraux des migrations.
Malgré la volonté déclarée du gouvernement et de sa majorité législative d’en faire un texte alliant « humanité » et « fermeté », l’examen du contenu de ce projet de loi permet rapidement de se rendre compte que c’est la seconde qui a pris le pas sur la première. Entre les nombreux durcissements (restriction des conditions d’attribution de la nationalité française à Mayotte, durée de rétention administrative allongée, recours non suspensifs pour certaines personnes…) et les multiples rendez-vous manqués (absence d’interdiction de l’enfermement pour les mineur·e·s ou encore maintien du « délit de solidarité »), ce projet de loi va encore précariser les personnes migrantes.
Le texte, préparé sans concertation avec les organisations présentes sur le terrain, est dénoncé par des acteur·trice·s aussi varié·e·s que les salarié·e·s de la Cour nationale de droit d’asile et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides mais aussi le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme ou le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.
Face à un gouvernement qui travaille seul, les membres des Etats généraux des migrations se sont lancés dans un processus citoyen pour défendre une politique migratoire alternative respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes.
Depuis plus de 10 mois, nous sommes plus de 10 000, issus de 1650 associations et collectifs, à nous être concertés pour réfléchir collectivement à des propositions concrètes basées sur l’expérience de terrain. Fin mai 2018, nous avons adopté le « Manifeste des assemblées locales réunies pour la 1ère session plénière des Etats généraux des migrations ». Plutôt que d’essayer de résoudre une « crise migratoire » qui n’existe pas, nous défendons un certain nombre de principes indispensables à une politique migratoire de long terme : accès aux droits fondamentaux pour les personnes migrantes ; respect du droit d’asile effectif ; liberté d’entrée, de circulation et d’installation dans l’espace européen ; égalité des droits entre français·e·s et personnes étrangères.
L’adoption d’une énième loi fondée sur la fermeture et le rejet ne change rien à la détermination des membres des Etats généraux des migrations : parce que l’humanité de demain se construit avec l’accueil d’aujourd’hui et contre les dérives issues des politiques migratoires actuelles, nous continuerons à plaider pour une politique d’ouverture qui place le respect des droits au centre des préoccupations.
Joé Nordmann, militant de la paix.
Colloque du 19 octobre 2018.
Monique Chemillier-Gendreau
L’action de Joé Nordmann pour la paix a été l’un des fils conducteurs de sa vie, l’un des moteurs de son action. Je vais d’abord dire un mot des raisons pour lesquelles j’interviens ici et du contexte dans lequel j’ai travaillé longtemps avec lui. Qu’on me pardonne si cet exposé va être assez subjectif et nécessairement sélectif.
Au début des années 70, j’enseignais le droit international à l’Université de Reims. Nous étions quelques uns à avoir été formés par Charles Chaumont, figure atypique dans les Facultés de droit, qui nous engageait dans la pensée critique et nous formait aux subtilités du raisonnement dialectique. C’était un moment de clivage idéologique fort (il n’était pas question du « en même temps » qui domine la politique d’aujourd’hui) et les débats étaient très vifs autour des relations internationales et du développement du droit international. Nous avons alors organisé des rencontres appelées les colloques de Reims, autour des grandes interrogations du droit international. Elles ont duré deux décennies. Charles était très lié à Joé Nordmann qu’il avait connu dans la Résistance et Joé, ce praticien du droit, a participé volontiers à nos débats souvent théoriques. Il était président de l’AIJD. C’est là que j’ai noué une grande amitié avec lui. J’ai été membre du Conseil d’administration de cette association pendant plusieurs années. Et j’ai aussi représenté l’AIJD auprès de l’UNESCO dans les années 80. J’évoquerai plus loin, certaines des actions auxquelles j’ai participé au titre de l’AIJD.
Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de connaître Joé Nordmann, j’ajouterai ici un mot pour le dépeindre. C’était un homme d’une extrême complexité mais d’une incroyable simplicité. Pour la complexité, on dira que ce juif athée, inséré solidement dans sa lignée de juifs alsaciens, n’était pas indifférent aux questions métaphysiques. Il était homme d’action, le métier d’avocat lui allait parfaitement. Mais il avait soif de se nourrir de doctrines et de théories. Par ailleurs, né bourgeois, il était très sensible à toutes les souffrances, notamment celles qu’engendrent les guerres, les dictatures, les inégalités. Sportif, il aimait l’aventure et allait la chercher aux quatre coins du monde. Pour la simplicité, je dirai qu’il ne se mettait jamais en avant, qu’il avait le contact facile, qu’il pouvait dans ses missions lointaines, partager une vie très frugale. Sa résistance était restée très grande en dépit de l’âge. Il tenait bon dans les marathons que représentaient les réunions de l’AIJD où l’on passait les nuits à essayer d’élaborer des motions introuvables. Mais il quittait toujours la présidence à un moment de l’après-midi où il fallait que quelqu’un le relaie, pour qu’il puisse faire une courte sieste. Et il m’est arrivé, étant venue pour préparer ces réunions dans son bureau, de le voir se coucher sur le dos à même le sol, m’expliquant, tout en continuant la discussion, que c’était le moyen de soigner ses douleurs. Son commerce était très agréable et son parcours peut nous inspirer à bien des égards.
Je dois parler ici de son rapport à la paix. Cela était absolument au centre de son action. Mais je distinguerai ici la paix comme objectif premier et ensuite les conditions secondaires, mais indispensables de la paix, conditions dont il avait su mesurer l’importance.
I – Une action entièrement orientée au refus de la guerre.
Joé Nordmann avait commencé sa vie de militant en entrant au Secours rouge international en 1933. Il avait assisté au procès des incendiaires du Reichstag à Berlin. Jeune avocat, collaborateur de Vincent Auriol, il était allé soutenir les militants anti fascistes dans les différents pays où s’installait la peste brune. Il avait pris pendant la guerre toutes sortes de risques qu’il raconte avec légèreté et humour dans ses mémoires. Tout de suite après la guerre, sa présence au procès de Nuremberg sera déterminante pour la suite de son parcours et pour cet élément central à ses yeux, qu’a été l’introduction en droit français du crime contre l’humanité. Mais de cela Alain Lévy parlera après moi.
Le combat pour la paix, Joé Nordmann, le sait décisif dès la fin de la guerre. Il était pétri de sa culture occidentale et de son patriotisme français, mais aussi encore tout plein de révérence pour le système communiste pour lequel il n’avait pas encore pris de distance critique. Aussi fut-il particulièrement enthousiaste devant ce moment de grâce qu’a été la victoire des Alliés. Il est vrai qu’en dehors des vaincus, le monde entier célébrait les mêmes valeurs. Il écrit dans ses Mémoires : « La prise de contact sur l’Elbe, au printemps 1945, entre combattants soviétiques et américains, la chaleur de leurs poignées de main, l’enthousiasme de leurs accolades, avaient témoigné d’une volonté commune de ressusciter la paix et d’abattre le fascisme » (p. 225). Mais, il savait que l’enthousiasme peut être de courte durée si les fondations sont insuffisantes. C’est alors que naquit l’idée d’une Association internationale de juristes. Il dira lui-même que celle-ci, plus encore que le Mouvement de la Paix, était un enfant de la Seconde guerre mondiale.
Les circonstances firent le reste. En septembre 1945 il est envoyé par le ministère de la justice à New-York, faire des conférences sur la Résistance française. Il s’exprime devant un auditoire d’avocats, ceux de la National Lawyers Guild qui a été ensuite l’un des piliers de l’AIJD. C’est alors qu’il se lie avec David Popper, un de ses confrères américain et qu’ils décident ensemble d’engager au sein des juristes une réflexion sans frontières sur la paix et la liberté. Joé aimait à rappeler cette origine franco-américaine de l’Association, notamment lorsque plus tard, il eut souvent maille à partir avec les délégations soviétiques qui cherchaient à imposer leurs vues.
Mais c’est à Nuremberg que les choses prendront corps. Le procès a eu une influence déterminante sur la conception que s’est forgée Joé Nordmann de la paix. Nuremberg c’était de la part des alliés qui se lancent alors dans cette aventure judiciaire, la première introduction du droit dans le bilan d’une guerre. Il faut mettre cela en regard avec ce moment historique où on l’on créait les Nations Unies, lesquelles imposaient l’interdiction du recours à la force. Ces deux évènements considérables représentent deux tournants par rapport aux siècles précédents au cours desquels la guerre était un droit de l’État souverain et où les moyens de la guerre étaient à peine encadrés par des normes faibles. Et voilà que des avancées inespérées sont rendues possibles par la coopération établie alors entre les différentes nations alliées par-delà leurs divergences politiques ou idéologiques. L’espoir est immense. Évidemment, aujourd’hui, nous sommes à juste titre blasés ou déçus. Les Nations Unies qui n’ont pas su se réformer audacieusement, restent engluées dans une atonie désolante et il a fallu attendre un demi-siècle pour que Nuremberg inspire la création d’une Cour Pénale internationale, laquelle peine à s’imposer. Dans ce contexte laborieux, on a mal à imaginer la complicité que des circonstances exceptionnelles avaient tissée entre Staline, Roosevelt et Churchill. Elle avait permis des déblocages que l’on ne retrouve plus aujourd’hui pour donner un nouvel essor aux institutions internationales.
Cela nous rend difficile d’imaginer la force de l’espoir qui régnait alors. Au début de 1946, Joé Nordmann, fort de son premier contact positif avec les avocats newyorkais, prend des contacts à Nuremberg. Il entraine l’un des membres de l’accusation française (Charles Dubost), un conseiller de la délégation soviétique (Traïnine) et un collaborateur du procureur général américain (qui était Telford Taylor). Cela suffit pour lancer les choses. En décembre 1946, l’assemblée constitutive de l’Association internationale des juristes démocrates se tient à Paris. Elle regroupe les délégations de juristes de 16 pays, sous la présidence de Henti Teitgen, Garde des Sceaux. Nordmann en est le premier secrétaire général et René Cassin, pressenti, accepte d’en être le premier Président.
L’AIJD allait être, aux yeux de Joé, un outil favorisant la paix. Mais la paix toute fraîchement recouvrée, était assombrie par l’existence de l’arme nucléaire. Joé fait alors partie, au nom de sa jeune Association des juristes démocrates, des initiateurs de l’Appel de Stockholm. Sous ce nom, est lancé le 19 mars 1950, une campagne d’opinion exigeant l’interdiction absolue de l’arme atomique. Son usage y est qualifié de crime contre l’humanité. Un Comité avait été créé pour promouvoir cet appel à l’initiative de Frédéric Joliot-Curie. Rentré à Paris, Joé Nordmann se démène pour obtenir des signatures. Il en récolte, non sans rencontrer les réticences qui s’expriment à l’égard d’un texte initié par les communistes. Claude Roy participe au mouvement et fait une campagne porte à porte, lui le poète obsédé par la guerre.
De cet appel naîtra le Mouvement de la paix. Joé entraîne son association dans le même combat. Les Congrès de l’Association internationale des juristes démocrates sont ponctués de motions appelant à l’interdiction de l’arme nucléaire. Cela resta une ligne de l’association, même lorsque les Soviétiques devinrent à leur tour une puissance nucléaire.
Cela reste d’une urgente utilité. Le monde d’aujourd’hui court de multiples dangers : celui de voir accéder à la tête des puissances nucléaires des aventuriers qui disposent alors dangereusement du fameux bouton et celui d’un gaspillage périlleux des ressources de la planète avec l’accumulation de déchets obérant l’avenir des générations futures. Malheureusement ce combat-là est pour le moment dans une impasse. Les mouvements qui luttent pour l’interdiction de l’arme nucléaire, et l’AIJD en faisaient partie, avaient obtenu en décembre 1994, que l’Assemblée générale des Nations Unies demande à la Cour internationale de justice un avis consultatif sur la question suivante : « Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance ? » . Dans son avis du 8 juillet 1996, la Cour a bien condamné l’arme nucléaire, considérant son usage comme illicite. Toutefois, elle a laissé la porte entrouverte dans la mesure où elle dit ne pas pouvoir se prononcer s’il s’agissait d’une « circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un Etat serait en cause ». Ainsi le désarmement nucléaire n’est-il pas à l’ordre du jour.
Le combat de Joé Nordmann était né du choc de Hiroshima et Nagasaki. Mais notre planète est rendue dangereuse non seulement pas l’arme nucléaire à laquelle chaque État aspire, mais encore et surtout par la montée en puissance et en sophistication des armes classiques. L’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm publie régulièrement des rapports sur le niveau de armements dans le monde qui font autorité. Ils montrent à l’évidence que les économies du monde entier sont militarisées et que la production fait peu de cas des interdictions de certaines armes. Sur les 10 dernières années, la production mondiale d’armes a augmenté de 10% par rapport à la décennie précédente. Et pourtant, dans ce moment privilégié qu’avait été la création des Nations Unies, les États semblant pris de sagesse avaient décidé par l’article 26 : « Afin de favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde, le Conseil de sécurité est chargé, …..d'élaborer des plans …….en vue d'établir un système de réglementation des armements. ». Nous sommes bien loin du minimum des ressources humaines et économiques du monde et le Conseil de sécurité a laissé l’article 26 de la Charte tomber dans l’oubli. On voit à quel point le combat de Joé Nordmann reste actuel.
Avant de dire un mot des moyens de la paix auxquels il consacra beaucoup d’efforts, je voudrais ajouter ici que son intuition la plus forte et la plus juste a été celle de la nécessité de maintenir le dialogue coûte que coûte. Il était profondément convaincu qu’il n’y a pas d’action solitaire qui soit fructueuse et que, pour agir en commun, surtout si l’on vient d’horizons différents, il faut d’abord communiquer. Lorsque j’ai fait sa connaissance dans les années 70, la guerre froide était inscrite durablement à l’horizon politique. Le lieu qu’il avait créé où des juristes du monde entier échangeaient et tentaient de dégager des points de vue communs (en n’y parvenant qu’occasionnellement) était quelque chose d’unique. Et cela, il a réussi à le garder contre vents et marées. Les vents se sont levés très tôt. René Cassin, le premier président de l’AIJD n’y a pas résisté. Lorsqu’en 1949, il comprit que l’URSS et les démocraties populaires ne signeraient pas la Déclaration universelle dans laquelle il avait mis tant de lui-même, parce qu’elle se cantonnait à leurs yeux aux droits formels et ne faisait pas assez de place aux droits substantiels, Cassin quitta la Présidence. Joé poursuivit sans lui, avec l’appui de Pierre Cot qui sera président quelques années avant que Joé Nordmann ne le devienne à son tour. Il expliqua pourquoi : il lui paraissait primordial que les juristes de tous les pays préservent leur union et continuent de se rencontrer dans une structure qui leur permettait d’échanger librement.
Les Soviétiques lui donnèrent du fil à retordre. (pas en 1956 où l’AIJD fut silencieuse face aux évènements de Hongrie. Il est vrai qu’elle était tout entière tournée vers les évènements de Suez et la nécessité de s’opposer à l’opération franco-britannique d’opposition à la nationalisation du Canal par Nasser). Mais en 1968, le contexte n’était plus le même. L’entrée des chars soviétiques à Prague fut ressentie par l’Association jusque là attachée à l’URSS, comme une trahison. Pierre Cot, le président et Joé Nordmann, le secrétaire général, vont alors à Prague pour soutenir les juristes tchèques. Dans la Revue de l’Association, nommée la Revue de droit contemporain, la souveraineté limitée, concept mis alors en avant par le camp soviétique, est critiqué. Une table ronde, également critique, est organisée à Bruxelles en 1970. Les Soviétiques s’opposent alors à la publication des débats dans la Revue de l’Association. C’est un tournant pour Joé. Il ne veut pas casser l’association, provoquer le départ des uns ou des autres. Il faut continuer à se parler, à s’affronter, mais ne pas rompre. Il en parle à Sean Mac Bride qui avait créé quelques années auparavant Amnesty international. Comment ne pas plier sans tout casser lui demande-t-il ? Finalement, il prend le parti de suspendre la Revue. Les Soviétiques lui en voudront, puisqu’ils tenteront d’empêcher l’élection de Joé Nordmann à la Présidence lorsque Pierre Cot quitte celle-ci en 1970. Mais ils échoueront et, finalement resteront au sein de l’AIJD, présidée par Joé Nordmann pendant de longues années. Il est vrai qu’il n’y eut pas de missions sur les droits de l’homme dans les pays d’au-delà du rideau de fer. Mais les associations de juristes de ces pays, étaient des associations gouvernementales, et non des associations de juristes libres comme dans les autres pays. Leur présence explique les limites de l’action.
Cela ne priva pas cependant l’AIJD de toute marge de manœuvre. En 1979, lors de l’entrée de l’armée soviétique en Afghanistan, l’AIJD envoie une mission sur place contre l’avis des soviétiques. Elle était menée par Georges Fischer. Il préconise dans son rapport le retrait des troupes de l’URRS. Les Soviétiques s’opposent, sans surprise, à la diffusion de ce rapport. Joé décide alors de le diffuser, sauf aux soviétiques. Ces derniers avaleront la couleuvre. Ce sont des évènements que j’ai connus. Quel sens me disait Joé aurait conservé une association censée dépasser les clivages idéologiques si le poids lourd de l’un des deux camps lui avait tourné le dos.
Lorsque je repasse cela en mémoire, je me dis que Joé illustrait de manière limpide ce que, 4 siècles plus tôt, Etienne de la Boétie écrivait si lumineusement dans son essai : « Le discours sur la servitude volontaire », lorsqu’il y parlait de la nécessité de « l’entre connaissance ». À travers toutes nos différences, expliquait De La Boétie, les uns plus grands, les autres plus petits, la nature en nous permettant de communiquer a cherché à resserrer les liens de notre société et montré ainsi que nous sommes mis tous en même compagnie où nous nous trouvons égaux et libres. Tous mis en même compagnie, voilà ce que Joé voulait réaliser et a su réaliser entre les juristes.
II – La recherche des moyens de la paix.
Je voudrais aborder dans un dernier point, les actions impulsées par Joé Nordmann en faveur des droits de l’homme et des libertés et du droit des peuples. Ces combats étaient pour lui, des corollaires indispensables de celui pour la paix.
La sensibilité aux droits de l’homme et aux libertés individuelles, Joé l’avait acquise aux côtés de René Cassin. Nous n’imaginons pas, je crois, le côté novateur que cela avait alors. L’expression « droits de l’homme » ne faisait pas partie du vocabulaire politique et juridique jusqu’au vote de la déclaration universelle en 1948 et, même alors, c’était encore une expression peu usitée. Joé Nordmann se lance avec son association dans le combat pour donner du sens à ces mots. Dès 1948, l’AIJD se positionne contre l’Espagne franquiste et le Portugal de Salazar. En 1959, c’est un soutien très fort qui est apporté aux démocrates grecs contre le régime des Colonels. Les missions et les prises de position se multiplient sur bien des fronts. J’ai participé moi-même à plusieurs d’entre elles. Je citerai ici seulement la plus marquante de mes missions sur les droits de l’homme. C’était au Guatemala en 1985. Nous étions une délégation de 3 membres, chargés d’enquêter sur les violations inouïes des droits de l’homme dans ce pays. Soutenir ceux qui sur place tentaient de lutter contre les violences, et surtout faire savoir ailleurs ce qui se passait, tel était le but de ces missions. L’AIJD étant membre des ONG accréditées auprès de l’ONU, ses rapports avaient une certaine audience. Cela n’empêchait pas des moments de malentendus assez éprouvants. Je vous relate celui-ci. Il y avait eu, pendant notre séjour, une cérémonie dans la cathédrale de la capitale à la mémoire des disparus, fort nombreux. Les familles de paysans indiens étaient venues de loin. On nous avait dit qu’il serait bon que nous y allions pour marquer notre solidarité. Mais les familles en voyant ces trois étrangers, venus assister à cette cérémonie, nous avaient cru capables de pouvoirs d’enquête policière que nous n’avions évidemment pas. Et voilà que, le fond de l’église où nous nous étions mis modestement, devenait une sorte de confessionnal, chaque famille faisant la queue pour pouvoir nous raconter son cas et exiger que nous prenions des notes pour pouvoir enquêter. Souvenir douloureux pour moi de cet incident où la limite de nos moyens d’action se faisait patente. Mais Joé ne voulait pas en faire un argument de renoncement. Témoigner restait essentiel à ses yeux.
Le souci des droits de l’homme conduisit particulièrement à l’organisation en 1989 de rencontres autour du bicentenaire de la révolution française auxquelles participèrent de nombreux officiels français et qui fit l’objet d’une publication.
Faire respecter le droit des peuples était une autre facette du combat pour la paix. Il s’est déployé de diverses manières. D’une part, l’avocat Joé Nordmann, mais toujours coiffé de son titre de président de l’AIJD, s’engagea dans la défense de divers partisans de la cause algérienne. Pendant les 6 années de la guerre d’Algérie, le soutien de l’AIJD à l’indépendance de l’Algérie fut sans faille. D’autres avocats de l’AIJD contribueront au combat judiciaire aux côtés des Algériens. Me viennent en mémoire à ce propos les noms de Marcel Manville et de Nicole Dreyfus.
Les droits du peuple palestinien furent une préoccupation constante de Joé Nordmann et il engagea très tôt l’AIJD dans ce combat. En 1978, il organise une conférence sur les accords de Camp David alors signés entre Israël, l’Égypte et les Etats-Unis pour décider, sans leur présence, d’une autonomie en faveur des Palestiniens. Il m’avait chargée avec un collègue de Reims du rapport de présentation. Nous dénoncions, évidemment, le fait que trois États s’entendent pour régler l’avenir du peuple palestinien en l’absence des représentants de ce dernier. Et nous réaffirmions que le peuple palestinien doit être le bénéficiaire direct du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, inscrit dans la Charte des Nations Unies. Les missions de l’AIJD se succédèrent dans les territoires palestiniens occupés. En 1979, Joé rencontre Yasser Arafat à Beyrouth. En 1981, il représente l’OLP devant la justice française après l’assassinat du délégué palestinien Kalak.
Dès 1952, l’AIJD fut très engagée sur l’Afrique du Sud et la lutte contre l’apartheid. Ce fut un combat permanent tant que dura ce régime.
Le Vietnam fut une autre préoccupation majeure. Dès juillet 1954, l’AIJD encourage la création d’associations nationales de juristes en Asie, dont une association des juristes vietnamiens. Une première conférence des juristes d’Asie est organisée cette année-là à Calcutta. Les délégations de l’AIJD vont se succéder au Vietnam pendant la guerre américaine. Joé Nordmann s’y rend dès 1965 pour rendre compte des bombardements américains. Des conférences sont organisées en Europe. Lorsque se constitue le Tribunal Russell pour juger les crimes commis au Vietnam, c’est Leo Matarrasso, membre de l’AIJD qui préside la Commission juridique et Joé témoignera des informations recueillies pendant ses missions. En juillet 1968, il organise une conférence internationale de juristes pour le Vietnam. Il y retourne en 1975 au moment de la réunification. En mars 1979, il envoie une nouvelle délégation, j’en fis partie, dans des conditions particulièrement difficiles. C’était dans un contexte particulièrement tendu puisque, d’une part, les Vietnamiens étaient entrés à Phnom Penh en janvier de cette année-là pour contribuer à faire tomber le régime des Khmers Rouges, et que, d’autre part, la Chine avait donné quelques semaines après une « leçon » au Vietnam sous la forme d’une agression caractérisée au nord du Vietnam. L’Europe à ce moment-là et les opinions publiques, n’étaient guère favorables au Vietnam. On prétendait que ce petit pays vainqueur de deux guerres meurtrières, ne les avait gagnées que pour s’enfermer dans un régime répressif. La mission de l’AIJD qui vint à Hanoi à ce moment-là devait enquêter sur les différentes facettes de la situation au Vietnam comme au Cambodge. Après avoir visité les régions du Nord Vietnam dévastées par la razzia de la Chine, il ne nous fut pas difficile de dénoncer cette action. Analyser la situation au Cambodge relevait de difficultés bien supérieures. Nous n’avions pas un pouce d’hésitation sur le fait qu’il fallait approuver l’entrée des troupes vietnamiennes au Cambodge, dans la mesure où cela avait permis de mettre fin à la situation de barbarie créée par Pol Pot. Mais il fallait qualifier celle-ci en droit et surtout donner les arguments juridiques permettant de placer dans un cadre légal la présence du Vietnam. Cela occupa nos longues heures d’avion du retour. Les 3 juristes américains qui avaient fait partie de la mission et moi-même débattirent longuement. C’est en nous appuyant sur la Charte des Nations Unies et les grandes résolutions votées dans les années 60 et 70 que nous avons réussi à présenter une argumentation qui permettait d’ajuster le droit et la morale politique.
Mais ce genre d’expérience montrait à ceux qui en doutaient encore, les insuffisances du droit international et le besoin, non seulement de revendiquer son application là où il était clairement bafoué, mais de demander des avancées pour doter le monde d’un corpus adapté à son évolution. Joé a engagé l’AIJD dans cette voie. Aussi, lorsque se développèrent, au sein des Nations Unies, les débats autour d’un Nouvel ordre économique mondial, l’AIJD y participa pleinement.
En plus de la Revue de droit contemporain, l’AIJD sera à la source de diverses publications, le plus souvent issues de colloques dont elles reflétaient les travaux.
Voilà quelques propos autour de l’action d’un homme Sans doute, y eut-il des carences, des erreurs, des non dits. Mais je crois qu’il faut retenir de ce parcours qu’il y avait là un homme à la fois combatif et optimiste. Il écrit dans ses mémoires : « La croyance en la communauté humaine a précédé mon adhésion au Parti communiste ». Je pense que c’était essentiel chez lui. Il participait à la recherche tâtonnante et nécessairement conflictuelle d’un ordre universel. Depuis sa disparition, cette nécessité-là se fait plus impérieuse chaque jour et peut-être moins accessible que dans les décennies précédentes, car le mauvais vent des nationalismes s’est levé dans le ciel de l’histoire. Il est d’autant plus important de rappeler ce qu’a pu être l’action de quelqu’un comme Joé Nordmann.
Tribunal Permanent des Peuples.
La violation des droits
des personnes migrantes et réfugiées et son impunité.
Monique Chemillier-Gendreau - Paris, 4 janvier 2018.
Le témoignage que je peux apporter ici sera articulé autour de trois éléments : un élément factuel relatif à la détérioration de la condition faite aux migrants et réfugiés dans la période contemporaine ; un élément juridique : celui de la carence des institutions internationales qui ne comportent aucun système de garantie des droits pour les migrants et réfugiés ; enfin un élément d’analyse politique : le migrant ou le réfugié sans droits est une composante consubstantielle du capitalisme libéral militarisé qui domine le monde.
I Sur l’élément factuel.
Mon expérience personnelle me permet de mesurer la dégradation de la situation sur une vingtaine d’années. En 1996, j’ai fait partie du Collège des médiateurs pour les Africains sans papiers, organe informel dont Stéphane Hessel était le porte-parole. Cette aventure a duré plusieurs mois et a été marquée par l’ordre donné par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Louis Debré, de faire enfoncer à coups de bélier la porte de l’Église Saint-Bernard où s’étaient réfugiés les sans papiers concernés par ce mouvement.
Mais depuis cette période, les flux de personnes tentant d’entrer en Europe sont beaucoup plus importants. Et les conditions qui leurs sont faites ont empiré considérablement. En 1996, les Africains sans papiers provenaient non pas de régions marquées par de graves violences, mais de pays de la vallée du fleuve Sénégal, principalement de Maliens, de quelques Mauritaniens. Ils venaient pour des raisons économiques, lesquelles étaient mêlées parfois pour certains cas individuels de raisons politiques.
Certes, il y avait alors des violations de leurs droits, mais elles n’étaient pas de la même ampleur. Il y avait eu alors quelques cas de mort, soit à l’occasion du voyage aller (certains jeunes n’hésitant pas à s’accrocher au train des avions et à y mourir de froid), soit à l’occasion du retour imposé qui a été parfois l’occasion de violences policières certaines allant jusqu’à la mort. Il y avait de multiples brutalités. Il y avait la violation des droits à une vie digne dans tous ses aspects. Il y avait surtout la violation par l’administration des droits pourtant reconnus dans la loi. Nous dénoncions alors, l’hypocrisie des politiques qui feignaient de ne pas savoir qu’un volant conséquent de travailleurs sans papiers présents sur le sol du pays, permettait un équilibre économique favorable aux patrons. Ceux-ci les employaient sans le moindre scrupule et leur présence permettait aux employeurs de les mettre en concurrence avec les travailleurs réguliers au détriment de ces derniers.
J’avais alors conclu que la seule manière de respecter les droits proclamés dans les textes reconnus par la France était de fixer des critères très larges, pouvant correspondre à une véritable ouverture des frontières. Il suffisait d’invoquer le Pacte international sur les droits civils et politiques, lequel proclame la liberté pour toute personne de quitter n’importe quel pays, y compris le sien. Pour interpréter ce texte il faut se référer au sens ordinaire des mots. Le mot « quitter » utilisé pour désigner une démarche spatiale, quitter un lieu, nécessite logiquement que le mouvement amorcé porte celui qui le pratique vers un autre lieu. Aussi, le droit de quitter tout pays, comporte-t-il logiquement et inéluctablement le droit d’entrer ailleurs, sinon il n’existe pas. Il est vrai que le Pacte international dans le même article (12) donne aux États la faculté de restreindre ce droit, mais cette faculté ne peut s’exercer que dans certaines circonstances précises qu’il énumère. Je ne pense pas que nous devions abandonner l’acquis de ce texte.
Pour en rester ici au contexte général, il a considérablement changé. Les guerres aujourd’hui font fait rage en Syrie, en Irak, au Yémen, au Sud Soudan, le chaos s’est installé en Libye, etc…Les hommes et les femmes qui arrivent du Moyen Orient ou qui quittent les côtes africaines à tout prix, fuient des situations qui ne leur laissent pas le choix. Il y a donc une différence quantitative, car c’est un afflux majeur de personnes qui se pressent aux portes de l’Europe. Mais il y a aussi une différence qualitative considérable dans la manière dont l’Europe et notamment la France se comporte à leur égard. L’exigence d’accueil exprimée par le droit d’asile est contournée par des contorsions juridiques et politiques indignes tendant à empêcher ces personnes d’aborder les côtes de l’Europe. Ainsi en est-il de l’accord passé avec la Turquie ou du reflux en mer vers la Libye, État non signataire de la convention de Genève relative au statut de réfugiés. D’autre part, le droit à la vie, à la dignité, à l’intégrité physique, sont piétinés. Le Ministre de l’Intérieur de la France était capable d’une larme d’émotion, un soir de victoire électorale. Mais c’est en toute sérénité qu’il donne à ses agents l’ordre de lacérer les tentes des réfugiés, ou dénombre les morts par naufrages qui ont lieu en Méditerranée.
Sans doute, la condamnation de nos gouvernements, celui de la France, comme celui de l’Europe, est-elle à cet égard, une nécessité. Toutefois, ne nous y trompons pas. La cote de popularité de nos politiques n’a pas baissé devant les récentes mesures scandaleuses qui ont été prises pour renforcer le contrôle des étrangers, jusque dans les foyers d’hébergement. Dans la profondeur de la population le repli égoïste est renforcé et l’indifférence aux réfugiés consolidée. Il y a lieu de se souvenir de situations similaires dans l’histoire et de ce à quoi elles ont conduit. La bataille que nous devons mener est d’abord celle de l’opinion publique.
II Le deuxième élément que je veux développer ici est relatif au droit, et notamment au droit international.
À cet égard, la situation mondiale actuelle est hautement paradoxale. Dans les années suivant la Seconde guerre mondiale, la défaite de régimes barbares, comme l’avaient été le nazisme et le fascisme, avait créé une sorte d’état de grâce pendant lequel, les peuples heureux de leurs libertés recouvrées et leurs gouvernements, avec des degrés de sincérité variables, imaginèrent un droit international qui se voulait universel et progressiste. Il y eut alors la Déclaration de 1948, puis en 1966, les Pactes relatifs aux droits de l’homme qui ont valeur obligatoire. C’était là un incroyable programme de justice et de bonheur humain. Même s’ils peuvent être encore améliorés, l’essentiel des droits fondamentaux y est décliné, droits civils et politiques et droits économiques, sociaux et culturels. Ils comprennent même, je l’ai rappelé il y a un instant le droit de circulation.
Mais pour que des droits deviennent effectifs il faut qu’ils soient accompagnés de mécanismes d’application. Or les Pactes ne sont assortis que de Comités qui n’ont pas de pouvoirs juridictionnels et ne font aux États que des observations sans valeur exécutoire. Pour que des droits reconnus au profit des individus soit concrétisés, il faut que les bénéficiaires puissent faire valoir ces droits devant une juridiction dont les décisions soient exécutoires. C’est ce dont disposent les personnes résidant en Europe avec la Cour Européenne des droits de l’homme. Les individus y bénéficient de recours directs contre les États ne respectant pas les dispositions de la Charte européenne de sauvegarde des droits et libertés. D’ailleurs, certains droits au profit des étrangers résidant en Europe ont pu être garantis par des actions menées devant cette juridiction. Maintenus hors du sol européen, les étrangers n’ont accès à aucun recours. Le Tribunal devra se pencher sur cette carence et prendre acte du fait qu’il est irresponsable d’exiger des droits si l’on n’exige pas aussi que des procédures viennent les garantir.
Cette exigence découle de l’article 10 de la Déclaration universelle qui déclare : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Mais il n’y a pas de tribunal impartial auquel peut s’adresser le réfugié qui va être vendu comme esclave en Lybie. Et les gouvernements n’ont rien fait pour qu’il y en ait. Pour donner vie à cet article, deux institutions complémentaires entre elles ont déjà été imaginées qui mettraient les États devant leurs responsabilités. Il s’agit d’une Cour mondiale des droits de l’homme et d’une Cour constitutionnelle internationale.
La Cour mondiale des droits de l’homme permettrait d’offrir à tout individu la possibilité d’un recours contre tout État, le sien ou celui où il se trouve, responsable de toute violation des droits reconnus dans les grands conventions internationales. Cela permettrait enfin de pallier le fait que des droits reconnus soient de fait non justiciables, faute d’une juridiction compétente. Construite sur le modèle de la Cour Européenne des droits de l’homme, elle aurait compétence pour faire appliquer l’ensemble des textes à portée internationale déjà en vigueur. Elle pourrait être saisie à certaines conditions par tous les humains et ses décisions s’imposeraient aux Etats. La possibilité d’y introduire un recours de classe permettrait d’éviter des actions trop nombreuses qui aboutiraient à la paralysie de la Cour. L’idée d’une telle juridiction n’est pas nouvelle, elle remonte aux années 1940. Elle a été relancée en 2008, dans le cadre de la commémoration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je n’ai pas ici la possibilité d’entrer dans les détails, mais des mesures techniques appropriées peuvent rendre ce projet réalisable.
Le projet d’une Cour Constitutionnelle Internationale vient compléter la démarche. L’idée est venue de Tunisie au moment de la révolution de 2011. Moncef Marzouki qui a été ensuite président de la République tunisienne en avait conçu l’idée lorsqu’il était dans l’opposition sous Ben Ali. Constatant l’absence d’effectivité des droits de l’homme, il avait avec l’aide de juristes tunisiens, travaillé à l’idée d’un organe judiciaire destiné à contraindre les Etats à respecter dans leurs systèmes politiques internes les engagements internationaux qu’ils ont souscrits. Partant du constat de la quasi universalité des textes internationaux mais aussi de la quasi universalité de leur non application, l’idée est d’obliger les représentants des Etats, sur la base de la bonne foi, à mettre leurs actes en accord avec leurs engagements. Il faut pour cela un mécanisme judiciaire permettant de contrôler les dispositions et pratiques constitutionnelles et administratives des Etats par rapport aux normes internationales en vigueur en matière de droits de l’homme et de libertés démocratiques. Sur le plan contentieux, cette Cour pourrait être saisie par des individus sous condition d’avoir un soutien pétitionnaire, par des ONG, des organes pléniers d’organisations internationales universelles ou régionales. Ceux-ci pourraient lui soumettre toute atteinte grave (des faits ou des actes juridiques) aux engagements internationaux. Elle rendrait des décisions de conformité ou de non-conformité, l’Etat étant tenu de donner suite à ses décisions. Ainsi, certaines mesures prises en matière migratoire pourraient être soumises à ce contrôle de conformité.
On le voit, les deux projets sont complémentaires. Le premier vise à sanctionner les violations subies directement par un individu. Le second vise à faire obstacle à des législations ou à des pratiques administratives conduisant à ces violations. Il faut exiger des États qu’ils s’engagent dans cette voie. Ce n’est pas par oubli ou négligence qu’ils ne l’ont pas fait jusqu’ici. C’est le résultat de la logique qui inspire tout le droit international contemporain, qui est celle de la souveraineté. Celle-ci est pensée comme un pouvoir au-dessus duquel il n’y a rien, pas même le droit international. Celui-ci n’existe que par la volonté des États. Les États acceptent de se payer de mots en adhérant aux grandes conventions qui leur donnent un vernis de vertu. Mais se gardant de les assortir de mécanismes contraignants d’application, ils en ont fait un ornement de rhétorique sans effets concrets. Ceci est lié à la manière qu’ont les États à des degrés divers, de flatter dans l’opinion publique l’idéologie nationaliste qui sépare les peuples et les conduit à s’affronter. Ils entretiennent ce que le philosophe Étienne Tassin appelle si justement « la maladie de la nation ». Il s’agit de cette profonde erreur politique qui laisse croire à une différenciation naturelle et juste entre les peuples et donc entre les droits dont ils disposent, et qui entrave par là toute universalité de ces droits.Les responsabilités que le Tribunal doit dénoncer doivent à mes yeux aller jusque là. Mais alors direz-vous, il faut soulever des montagnes ? Sans doute, mais ne sous estimons pas la force des convictions. Elle est une vraie force. Et la société civile ici représentée en est la dépositaire. Nous avons l’exemple de la Cour Pénale internationale. Elle n’a vu le jour que contre les gouvernements et elle ne survivra et ne s’améliorera que si la force qui a poussé à sa création ne retombe pas. Il en va de même pour les institutions que je viens d’évoquer. Il s’agit de rappeler aux États qu’ils ne sont pas les dépositaires directs de la souveraineté. Ils n’en tiennent qu’une délégation qui leur est donnée par le peuple.
III Mon troisième élément est d’ordre politique.
Le migrant ou le réfugié sans droits est une composante consubstantielle du capitalisme libéral militarisé qui domine le monde. C’est pourquoi il est le spectre qui nous hante, nous rappelant la trahison des valeurs dans laquelle nous sommes tombés et l’illusion de démocratie dans laquelle nous vivons.
La figure du migrant et le cortège de malheurs qui l’accompagne ne forment pas un élément extérieur à l’Europe qui viendrait cogner à la porte en intrus. Ils ne sont pas le fruit d’une situation étrangère à cette même Europe et qu’elle subirait en étant confrontée simplement à un impératif moral d’hospitalité ou de générosité. Il faut en finir avec ce schéma fallacieux. Ces flux d’humains en détresse qui déclenchent la peur parmi les populations des pays d’Europe sont victimes de situations que nous avons gravement contribué à créer : tolérance à l’égard des mafias et des passeurs, ventes d’armes qui nourrissent les guerres, bombardements en aveugle sur les arsenaux de la Lybie qui ont alimenté les violences dans le Sahel, système économique mondial fondé sur l’injustice, soutiens à des régimes criminels, complicité dans la création de la nasse libyenne, la liste est longue de ces actions qui sont à la source même de la situation faite aux migrants.
Je voudrais ici pour finir insister sur deux points : nous avons construit nos économies sur les industries d’armement, c’est-à-dire sur des industries de mort et, de ce fait, nous avons besoin des guerres pour vider nos arsenaux, occasionner de nouvelles commandes et ainsi faire vivre nos économies mortifères. Les travailleurs européens, pris au piège de l’emploi, ne contestent pas cette orientation. Mais les armes finissent toujours par servir et nous alimentons ainsi les guerres qui chassent de chez eux ceux qui deviennent des migrants. Je ne vois pas se lever le mouvement politique, nécessairement européen qui s’opposerait à la poursuite de ces politiques. Il y a là une trahison de la prescription contenue dans la Charte des Nations Unies qui à son article 26 avait chargé le Conseil de sécurité de réglementer les armements en ne détournant vers eux « …que le minimum des ressources humaines et économiques du monde ».
Le second point est d’ordre économique. Et il s’agit d’un paradoxe qui est celui de la domination : l’Occident a ouvert la voie il y a plusieurs siècles à l’expansion mondiale du capitalisme. Celui-ci a fait de la maitrise de la main d’œuvre une variable d’ajustement de la rente qui le caractérise. C’est ainsi que dans les années 50, les recruteurs allaient au Maghreb chercher les travailleurs nécessaires à l’industrie automobile. L’Europe a toujours autant besoin d’un apport de travailleurs. Sa démographie et son économie en témoignent. Mais un égoïsme stupide et un nationalisme borné entretiennent dans l’opinion publique l’idée que nous serions propriétaires légitimes de notre niveau de vie et que les étrangers seraient en position de pilleurs. Alors que l’ouverture aux travailleurs étrangers est, dans la logique même du capitalisme, un puissant moteur de croissance et de dynamisme, le racisme et le nationalisme entrent en contradiction avec cette donnée. L’Allemagne est l’exemple même de cette situation : les réfugiés accueillis par elle par centaine de milliers n’ont pas fait vaciller son économie, loin de là. Mais la voilà travaillée par les pires démons politiques.
Ici, devant ce Tribunal d’opinion, ce n’est pas l’argument économique que je souhaite faire valoir. Le Tribunal devra s’appuyer sur des arguments de droit et sur des valeurs. Les arguments de droit ne manquent pas pour désigner les responsabilités et indiquer les règles auxquelles il est urgent de se conformer. Quant aux valeurs, je voudrais rappeler pour conclure que sont grands les peuples qui n’ont pas peur, notamment pas peur de l’autre et qui savent s’ouvrir. Les nations qui se ferment sont des nations en déclin. Nos politiques ne savent pas convaincre leur opinion publique à ce sujet parce qu’ils ne sont pas convaincus eux-mêmes.
Dès lors il est possible de conclure que les politiques migratoires en cours sont, dans une logique politique, l’expression d’une lâcheté, dans une logique capitaliste, une erreur d’appréciation des intérêts mêmes du peuple d’accueil, dans une logique juridique des manquements au droit qui vont jusqu’au crime.
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L'Association condamne avec la plus grande fermeté l'assassinat de douze personnes dans les locaux de Charlie Hebdo et les prises d'otages et les meurtres qui ont suivi. Cet acte odieux vise à faire taire des journalistes et caricaturistes et à ce titre ils constituent un précédent intolérable pour la liberté d'expression. Face à de tels actes, la République doit réaffirmer avec force ses valeurs fondées sur le respect de la démocratie et de la liberté de la presse et être plus soucieuse que jamais du respect de l'État de droit. Cela implique non pas de choisir le renforcement d'une politique sécuritaire qui a échoué mais de promouvoir, partout en France, l'égalité effective entre tous, seule base favorisant le vivre-ensemble, et de favoriser à l'échelle internationale les conditions d'une paix durable entre les États et à l'intérieur d'entre eux, paix qui ne passe pas par les armes mais par la recherche de solution politique juste aux conflits en cours et par la création d'une véritable communauté des peuples.
L’AFJD a signé l’ «Appel à un changement radical de politique migratoire en France »
Plus de 200 organisations, des très connues à des micro-collectifs dans des villages, lancent un appel public inter-associatif à Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Gérard Collomb pour que le gouvernement change radicalement sa politique migratoire. Elles réclament l’organisation d’une conférence nationale d’urgence pour qu’émergent des politiques alternatives d’accueil.
Le ministre de l’intérieur a fait connaître ses premières intentions en matière de politique migratoire, et nous déplorons qu’il y manque l’engagement impératif de mettre un terme aux violences policières à l’encontre des migrants et réfugiés. De même, aucun mot n’a été prononcé pour annoncer la fin de l’intimidation à l’égard de citoyens ou associations, qui sur le terrain s’efforcent d’assurer accueil et solidarité à leur égard. Deux priorités qu’il faut d’urgence mettre en œuvre au regard des situations qui prévalent à Paris, de nouveau à Calais, à la frontière franco-italienne, mais aussi ailleurs en France.
Pourtant, la situation actuelle le démontre implacablement : la gestion répressive des migrations internationales et le non-respect du droit d’asile qui prévalent dans la plupart des pays d’Europe, et en France en particulier, sont un échec effroyable. Tout d’abord parce que les guerres, les violations des droits humains, l’aggravation des inégalités et les catastrophes climatiques jettent un nombre incompressible de personnes sur les routes de l’exil, et aucune police au monde ne pourra jamais empêcher des jeunes de chercher à se construire un avenir, ou des familles de vouloir protéger leurs enfants. Ensuite parce que « tarir les flux d’arrivées », selon les mots mêmes du Ministre, relève de l’illusion et du mensonge, que nous payons au prix fort : des milliers de vies perdues chaque année en Méditerranée ou sur les autoroutes d’Europe, des centaines de millions d’euros gaspillés tous les ans, d’insupportables souffrances humaines, mais aussi des territoires sous tension, des bénévoles et des citoyens choqués et épuisés... De tels choix politiques fracturent nos territoires, dressent les hommes et femmes les uns contre les autres et nourrissent le rejet de l’autre et le repli sur soi.
Nous, membres d’associations nationales, collectifs de migrants ou citoyens réunis dans des initiatives locales de solidarité avec eux, composons une grande partie de la « société civile » organisée, qui tous les jours sillonne le terrain pour pallier les manquements, l’aveuglement et l’inhumanité des politiques publiques. Nous avons vu des dizaines de milliers de personnes, ces derniers mois, s’engager, dans leurs quartiers ou dans leurs villages, pour témoigner de l’humanité la plus élémentaire : offrir réconfort et dignité à des personnes accablées par des parcours de souffrance et de danger, voyant leurs droits fondamentaux tout simplement niés par les autorités de l’État.
Face à ce qui constitue un véritable « état d’urgence », nous appelons les responsables politiques et administratifs à poser les vraies questions : notre conception de la justice admet-elle que des militants de solidarité soient harcelés, et jugés comme délinquants, ou que des distributions alimentaires soient interdites par arrêté municipal ? Les droits fondamentaux que nous aspirons à voir respectés à travers le monde sont-ils compatibles avec la détention de milliers de personnes qui ont pour seul tort d’avoir cherché à survivre et bâtir un avenir meilleur ?
Nous qui construisons chaque jour une France solidaire et accueillante, nous appelons donc le Président de la République et le Premier Ministre à convoquer d’urgence une conférence impliquant tous les acteurs, afin qu’émergent des politiques alternatives d’accueil et d’accès aux droits empreintes de solidarité et d’humanité.
L’AFJD a signé l’appel « Contre la reconduction de l’état d’urgence ! Contre l’instauration d’un état d’urgence permanent !
Pour nos droits et nos libertés ! »
L'état d'urgence, doit être renouvelé encore 6 mois par le gouvernement, en juillet.
Or l’état d’urgence a largement démontré son inefficacité contre les attentats et a surtout été employé contre les mouvements sociaux (loi travail, COP 21, ...), contre les musulman-e-s ou supposé-e-s l’être, contre les migrant-e-s et leurs soutiens, contre les habitant-e-s des quartiers populaires où les violences policière se sont multipliées, en toute impunité.
Encore le 8 mai, 69 militant-e-s ont été assignés à résidence pour leur interdire de se rendre à la manifestation du front social, car ils-elles avaient pris part à des manifestations contre la loi travail.
Dans le même temps, le gouvernement Macron présente un projet de loi pour mettre en place un état d’exception permanent, introduisant dans le code pénal des mesures issues de l’état d’urgence. Ce projet de loi en instaurant des sanctions administratives permettant la privation de liberté ou la limitation à la liberté de circuler, banalise la rupture de l’état de droit et du principe de séparation des pouvoirs.
Il est conçu pour s’appliquer bien au-delà de la lutte contre le terrorisme, comme l’état d’urgence, et sera bien évidemment durci à la prochaine alerte... comme les différentes lois répressives qui se sont succédées depuis 15 ans.
Cette fois, il prévoit la création de “périmètres de protection” sur la voie publique c’est à dire dans la rue, qui ne sont pas limités dans la durée ni son emprise géographique (toujours au nom de la « menace terroriste »). Il donnera lieu à des fouilles de véhicules, de bagages et à des palpations par la police municipale et des vigiles, devenant ainsi supplétifs de la police.
Il s’appliquera sur le périmètre d'une manifestation (comme en 2016), mais aussi si besoin, sur toute la Guyane, tout Paris ou tout un quartier populaire pour contrôler les habitants en permanence. Arbitraire, abus et colères seront les fruits de cette mesure conçue pour bâillonner le mouvement social qui s’annonce contre la destruction de la protection sociale, des droits des salariés ou face à l’urgence sociale.
Les mesures individuelles, d'assignation à résidence, de perquisition 24h sur 24, de perquisition électronique, de surveillance Hertzienne s’appliqueraient à l’initiative de la police et du Préfet, dans certains cas avec une validation préalable (mais de principe) du juge ou du procureur de Paris : ..."lorsque la personne représente une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics", et «qui soutient ou adhère à des thèses incitant au terrorisme » ... les termes définissant les personnes visées sont suffisamment flous pour s'appliquer à des militant-e-s ou des syndicalistes.
Le contrôle aux frontières serait rétabli contre les migrant-e-s et renforcé autour des gares, les fermetures de certains lieux de culte seraient facilitées, le fichier des voyageurs serait pérennisé et les données conservées 5 ans ...
Il doit être mis fin à l’état d’urgence et à cette tentative de le rendre permanent.
L'AFJD a signé l'appel sur Calais : les bulldozers ne font pas
une politique.
Une fois de plus, l’unique réponse qu’envisagent les pouvoirs publics face à la situation dans le Calaisis, c’est l’évacuation d'un camp de réfugiés, et leur dispersion. On feint de s’attaquer aux causes réelles du problème ; mais en réalité, en s’en prenant aux victimes condamnées à se disperser dans la peur, cette politique ne fait que le déplacer et l’aggraver. Cette « solution » n’en est pas une.
Aux huit organisations qui ont adressé une lettre ouverte à Bernard Cazeneuve pour lui demander de surseoir à l'évacuation programmée d’une grande partie de la « jungle » de Calais, le ministre de l’Intérieur vient d’adresser une réponse qui est une fin de non-recevoir : il justifie sa décision à coups de propos incantatoires sur le respect des droits fondamentaux des migrants et le bien-fondé de politiques qui ne varient pas depuis des années, malgré leur échec évident ; et il rappelle aux associations leur « partenariat » avec l’État comme pour les impliquer dans la politique qu’elles contestent. Dans la foulée, la préfecture du Pas-de-Calais vient de publier un arrêté ordonnant aux occupants de la zone sud du bidonville, dite « la Lande », de quitter les lieux mardi 23 février au plus tard.
Les bulldozers ne peuvent pas tenir lieu de politique. Cela n’implique évidemment pas de nous accommoder d’une « jungle » dont le nom dit tout. Personne ne saurait accepter le maintien en l’état du bidonville de Calais, pas plus que du camp de Grande-Synthe, ni d'aucun autre. Personne ne peut se satisfaire de voir des réfugiés contraints de survivre dans de tels lieux.
Depuis des années, nous ne cessons d'ailleurs de dénoncer l’indignité de ces conditions de vie, comme l’a fait également Jacques Toubon, le Défenseur des droits, l’été dernier. Plus récemment, le tribunal administratif de Lille a même condamné l'État à procéder en urgence à des améliorations, décision confirmée par le Conseil d'État.
Pour autant, il n’est pas question non plus de cautionner l’évacuation annoncée, non seulement parce qu’elle est inhumaine, mais aussi parce qu’elle ne résoudra rien. Chasser les habitants d’une large partie du bidonville, y faire passer des bulldozers et détruire tout ce qui, dans la précarité et avec les moyens du bord, a été construit au fil des mois : à quoi bon ?
Les migrants qui se trouvent dans le Calaisis veulent souvent rejoindre des proches en Grande-Bretagne. D'autres seraient en droit de demander l'asile en France mais ils ne le savent pas toujours, ou bien ils se méfient de l’accueil qui leur serait réservé. D'autres encore attendent une réponse à leur demande. Parmi eux, il y a beaucoup d’enfants... Or pour plusieurs catégories de migrants, il existe des solutions inscrites dans les textes, avec des dispositifs, des acteurs, des fonds alloués à cet effet. Elles auraient pu être mises en œuvre depuis longtemps déjà.
Au lieu de s’y atteler, les pouvoirs publics ont préféré procéder à des « démantèlements » successifs. En 2015, ils ont contraint les migrants ainsi délogés à s'installer dans une zone « aménagée » pour eux. Bref, ils ont déjà défait ce qui se faisait, forçant ceux qu’ils chassaient à vivre dans une précarité plus grande encore.
Aujourd'hui, la partie principale du bidonville d'État de Calais est constituée de tentes et d'abris sommaires, bâtis par les réfugiés avec des bénévoles de différentes associations. Dans ces quelques kilomètres carrés sont nés peu à peu des cafés ou des restaurants de fortune, de minuscules épiceries, des lieux de culte de différentes religions, de toutes petites écoles, un théâtre sous chapiteau, une cabane d’aide juridique, plusieurs endroits dévolus à des soins, etc. Autant d'espaces de vie sociale, partagés par les réfugiés des différentes nationalités présentes dans le bidonville.
Qu'est-ce qui justifie de raser tout cela ? Le ministre veut convaincre que c’est pour le bien des occupants. En réalité, c’est une politique de dissuasion : rendre la vie invivable aux réfugiés. À ceux qu’ils ont hier installés dans cette zone, les pouvoirs publics enjoignent depuis des semaines d’occuper des conteneurs -sortes d'Algecos - ou sinon d'être dispersés loin de Calais, dans des CAO (centres d'accueil et d'orientation), baptisés « lieux de répit ».
Or c’est une alternative impossible.
Le ministre vante les mérites des conteneurs, qui sous sa plume semblent des bungalows pour vacanciers. Le fait est qu'il s'agit de cabanes de chantier, avec dans chacune des lits superposés pour douze personnes, où l’on ne peut qu’être debout ou couché ; toute installation de mobilier y est interdite, toute intimité impossible...
Concernant les CAO, le ministre se félicite de ce qu'ils permettraient aux migrants, grâce à « un accompagnement associatif de qualité » et à « un suivi particulier » des personnes, de déposer des demandes d'asile dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans le bidonville. « Au dernier recensement », écrit-il, « 80 % des migrants encore présents en CAO étaient engagés dans une démarche d'asile »... Il oublie de parler de ceux qui, mis en hôtel, sont privés de tout accompagnement et risquent une prochaine expulsion du territoire. Il oublie aussi de préciser que les CAO ont été conçus comme des solutions à très court terme ; après leur fermeture, qu’adviendra-t-il des personnes qui y auront été envoyées ?
Conteneurs, CAO ; expulsion, dispersion ; ces réponses ne feront qu'aggraver le sort des migrants sans régler pour autant le problème auquel est confrontée la région du Calaisis, pas plus qu'en son temps la fermeture du camp de Sangatte. Et dans un an, on nous rejouera la même scène. Car c’est avant tout l’inaction des pouvoirs publics, mais aussi leur action, qui, en créant des conditions de vie impossibles, rend la situation ingérable. L'État veut nous faire croire qu'il prend le parti des habitants contre les réfugiés; en réalité, il monte les premiers contre les seconds en abandonnant les uns et les autres.
Il faut cesser de chasser de jungle en bidonville toute la misère du monde, persécution qui ne fait qu'exaspérer le ressentiment des « riverains ». Non, le malheur des migrants ne fera pas le bonheur des Français, pas plus à Calais qu’ailleurs. En réalité, laisser se dégrader la situation est plus pénible pour les populations du Calaisis, et plus coûteux aussi pour les pouvoirs publics, que s’employer à l’améliorer.
L’humanité la plus élémentaire nous interdit ces destructions à répétition ; mais notre intérêt bien compris aussi.
Ce pays peut-il se satisfaire de devenir le champion du non-accueil, alors que les réfugiés y sont moins nombreux qu'ailleurs ? Ce que d’autres pays font déjà, la France doit pouvoir le faire. La Grande-Bretagne, qui porte une lourde responsabilité dans cette situation, doit elle aussi revoir sa position à cette frontière. Il faut en finir avec l’improvisation perpétuelle ; il est temps de penser dans la durée. Et si l’État ne fait pas son travail, nous allons y travailler nous-mêmes – avec les associations sur le terrain, avec les habitants du Calaisis et avec les réfugiés.
Les jours prochains, nous irons à Calais pour le clamer haut et fort : nous ne sommes pas condamnés à choisir entre la « jungle » et sa destruction. Nous refusons de réduire la France à des barbelés et des bulldozers. Nous tiendrons une conférence de presse. Nous voulons faire entendre un autre discours que celui des pouvoirs publics qui occupent les médias. Détruire, dit la Préfète ? Avec, sans ou contre l’État si nécessaire, il faudra pourtant bien construire un avenir.
Une fois de plus, nous, organisations signataires et personnes solidaires, demandons :
- que soit annulé l'arrêté d'expulsion pris le 19 février ;
- en urgence : une prise en charge individuelle respectueuse des droits fondamentaux des personnes actuellement présentes à Calais ;
- une discussion du règlement Dublin III et des Accords du Touquet ;
- plus largement, que la France s'engage enfin, en particulier en faisant la promotion de cet axe au sein de l'Union européenne, pour une véritable politique d'accueil des personnes migrantes.
20 février 2016
L'AFJD a signé l'appel sur l'état d'urgence :
nous ne céderons pas.
Dire Non
Après l’appel « NOUS NE CÉDERONS PAS ! », une centaine d’organisations ont rendu public le texte « Sortir de l’état d’urgence » au cours d’une conférence de presse, le 17 décembre 2015.
En réaction à l’horreur des attentats, l’état d’urgence a été décrété par le gouvernement, puis aggravé et prolongé pour une durée de trois mois. Nos organisations ont immédiatement exprimé leurs craintes vis-à-vis de ce régime d’exception ; ces craintes sont aujourd’hui confirmées par l’ampleur des atteintes aux libertés constatées depuis quelques semaines. Nous assistons à un véritable détournement de l’état d’urgence qui cible également des personnes sans aucun lien avec des risques d’attentat. Ces abus doivent cesser.
La volonté de se rassembler et de manifester ensemble a prévalu après les attentats commis à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes, en janvier 2015. Elle prévaut encore.
Or, depuis le 13 novembre 2015, les interdictions visant les mobilisations sur la voie publique se multiplient. Manifester n’est plus un droit, et les rares concessions accordées par les préfectures, qui attendent souvent le dernier moment pour informer de leurs intentions, entravent dans les faits son exercice. Le ministère de l’Intérieur justifie tout cela par son incapacité à sécuriser les parcours alors même qu’il autorise, dans le même temps, les rencontres sportives et des événements tels que les marchés de Noël, qui se tiennent sur la voie publique. L’interdiction des rassemblements et manifestations entraîne la multiplication des arrestations, des gardes à vue, des assignations à résidence, un fichage policier des militants, et, pour quelques-uns, des condamnations. Qui peut croire que cela soulage les autorités ? La censure, ici, s’avère doublement contreproductive... L’état d’urgence autorise par ailleurs des perquisitions sur ordre des préfectures, de jour comme de nuit, en dehors de tout cadre judiciaire, sur le fondement de fiches possiblement erronées, de dénonciations, d’informations et de soupçons sujets à caution. Plus de deux mille six cents intrusions discrétionnaires sont intervenues à domicile, dans des mosquées, des commerces, interventions souvent violentes, sans qu’aucune mise en examen pour terrorisme n’ait eu lieu. Rien n’indique qu’une telle frénésie va s’arrêter, chacun peut en être victime.
Les assignations à résidence se multiplient sur la base de motifs aussi vagues que la présence sur le lieu d’une manifestation ou le fait de « connaître » tel ou tel individu. Ces graves restrictions sont appliquées, sans distinction, et de manière massive, d’autant que les juridictions administratives ont montré qu’elles s’en accommodent, quitte à ce que les libertés en souffrent. Elles reprennent à leur compte toutes les allégations du ministère de l’Intérieur et, comble de la démission, sont nombreuses à considérer qu’il n’y aurait pas d’urgence à statuer sur l’état d’urgence.
L’état d’urgence et le climat de guerre intérieure alimenté par le gouvernement contribuent au renforcement des amalgames et aux pratiques discriminantes, notamment de la part des forces de police. Ce ne sont pas « les terroristes qui sont terrorisés », ce sont des jeunes et des populations victimes de l’arbitraire en raison de leur origine et/ou de leur religion qui voient leur situation encore davantage fragilisée.
Reprenant à son compte les exigences de l’extrême droite, FN en tête, le gouvernement s’engage honteusement dans une modification de la Constitution visant à étendre la déchéance de la nationalité aux binationaux nés en France.
Ces multiples atteintes portées au contrat démocratique sont une mauvaise réponse aux actes terroristes. Notre pays a été blessé, mais loin d’en apaiser les plaies, l’état d’urgence risque de les exacerber en appauvrissant notre démocratie, en délégitimant notre liberté.
Dans ces circonstances, nous appelons les pouvoirs publics à :
-jouer leur rôle de garants de la défense des droits et des libertés publiques ;
-rétablir, sans délai, le droit plein et entier de manifester ; `
-cesser les perquisitions et les assignations à résidence arbitraires et à agir dans le cadre de procédures judiciaires ; mettre en place des garanties effectives de contrôle ;
-lever l’état d’urgence ;
-renoncer à une réforme constitutionnelle préparée dans l’urgence et au contenu inacceptable.
Paris, le 17 décembre 2015
CONFERENCE
Pour des organes judiciaires mondiaux
Une distance béante sépare les grands textes sur les droits de l’homme, avec les promesses qu’ils contiennent, et la réalité des conditions faites aux humains en ce 21° siècle. On peut à cela discerner quelques causes :
En premier lieu, l’affirmation des droits a, certes, considérablement progressé depuis la création des Nations Unies mais leur mise en œuvre reste faible. Les mécanismes d’application des droits, transposés dans les droits internes, sont souvent déficients, même ceux des Etats développés prétendant être des démocraties. Quant au système de contrôle international des droits de l’homme, il est demeuré le plus souvent inefficace, les mécanismes mis en place par les Nations unies ne disposant pas de pouvoirs juridictionnels. La Cour internationale de justice de La Haye n’est saisie que si les deux Etats concernés par un différend ont exprimé leur accord et rien ne peut forcer un Etat à donner cet accord contre son gré. La Cour pénale internationale, vue comme un grand progrès, n’a pour objet que de sanctionner les crimes internationaux et reste limitée par le fait que des Etats, parmi les plus puissants, n’ont pas adhéré à son statut. Seule exception : la Cour européenne des droits de l’homme, instance obligatoire pour les Etats, détenant le pouvoir de les condamner pour leurs violations de la Charte européenne des droits de l’homme. Mais il s’agit d’une cour régionale à portée géographique limitée.
En second lieu, les disparités d’une région du monde à l’autre font que beaucoup ne bénéficient que de moindres garanties, voire souffrent d’une absence totale de garanties, ce en outre dans les parties de la planète le plus souvent en proie aux guerres et soumises aux régimes les plus dictatoriaux.
En troisième lieu, et il s’agit là d’une cause structurelle, la souveraineté des Etats a limité le droit international à des accords interétatiques. La Charte des Nations unies s’est construite sur une forte contradiction : d’un côté, elle prône le développement du droit international mais de l’autre, elle garantit une conception de la souveraineté qui s’oppose à tout progrès d’un droit international universel, favorisant ainsi une culture de l’impunité, assise sur le principe des immunités, qui a prospéré dans le monde entier. Il en résulte que le corpus du droit international des droits de l’homme ne forme qu’un ensemble incertain, chaque texte étant signé par un nombre variable d’Etats. En outre, il ne suffit pas qu’un Etat soit signataire d’une convention internationale pour garantir que la population dépendant de lui soit protégée. Les juridictions internationales n’ont de compétence que pour les Etats qui l’ont acceptée et elles sont tributaires pour mener les procédures du bon vouloir de ces Etats.
L’ouverture du monde qui favorise les inégalités, lesquelles engendrent de la violence, exige des réponses de grande ampleur. Une communauté mondiale se construit de fait sous nos yeux, non pas en se substituant aux communautés nationales mais en se combinant à celles-ci ; elle n’est malheureusement pas pensée autour de valeurs politiques communes. Il faut donc effectuer un saut qualitatif et examiner deux pistes qui ont été rappelées ou ouvertes récemment et qui constitueraient des avancées révolutionnaires : l’une est celle d’une Cour mondiale des droits de l’homme ; l’autre est celle d’une Cour constitutionnelle internationale.
Une Cour mondiale pour imposer le respect des droits de l’homme
Tous les hommes ne sont pas égaux en droits et n’ont pas droit en pleine égalité à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial et indépendant. Un grand nombre de personnes dans le monde ne disposent d’aucun recours comparable à celui dont bénéficient les Européens, dont les mécanismes méritent en outre d’être largement améliorés.
La proclamation de l’universalité des droits de l’homme est une avancée majeure mais ne suffit pas quand la violation de ces droits est finalement beaucoup plus universelle que leur reconnaissance. La Commission des droits de l’homme des Nations Unies, chargée seulement de recevoir des pétitions sur des situations de violations flagrantes et systématiques des droits et libertés, a été peu à peu décrédibilisée, chacun considérant qu’elle était partisane dans les choix des pays auxquels étaient adressés des rapports critiques. Elle a été remplacée, en 2005, par le Conseil des droits de l’homme, dont les membres sont élus parmi les Etats respectant les normes les plus élevées en matière de droits de l’homme. Mais les Etats réputés vertueux perpétuent parfois des violations graves et la réforme ne s’est pas accompagnée de véritables pouvoirs judiciaires qui permettraient de sanctionner les auteurs de violations.
C’est donc une Cour mondiale des droits de l’homme qu’il faut s’employer à promouvoir. Elle aurait compétence pour faire appliquer la Charte internationale des droits de l’homme ; elle pourrait être saisie à certaines conditions par tous les humains et ses décisions s’imposeraient aux Etats. L’idée n’est pas nouvelle, elle remonte aux années 1940 ; elle a été relancée en 2008, dans le cadre de la commémoration du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais aujourd’hui, seule la montée en puissance d’une demande en ce sens venant de la société civile du monde entier pourra donner réalité à ce projet.
Une Cour constitutionnelle internationale pour contraindre les Etats à respecter dans leurs systèmes politiques internes les engagements internationaux qu’ils ont souscrits
Dans la société internationale, la démocratie, proclamée comme une valeur universelle, peut être bafouée sans qu’il existe de moyens de la faire appliquer. Il faut remettre la bonne foi au centre de la politique et obliger les représentants des Etats à mettre leurs actes en concordance avec leurs engagements, conformément à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 29 mai 1969 : « Pacta sunt servanda. Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Cette convention n’a été ratifiée que par 113 Etats mais dans la mesure où elle est considérée comme ayant codifié des règles coutumières, ces règles ont valeur normative même pour les Etats n’y ayant pas adhéré formellement.
Il s’agirait alors d’instaurer un mécanisme judiciaire permettant de contrôler les dispositions et pratiques constitutionnelles des Etats par rapport aux normes internationales en vigueur en matière de droits de l’homme et de libertés démocratiques. Tel est le projet initié par Moncef Marzouki et défendu depuis quelques années par les juristes tunisiens qui l’ont élaboré.
Ce projet n’est pas une alternative à la Cour mondiale des droits de l’homme. Il en est complémentaire.
Une Cour constitutionnelle internationale appliquerait les principes et les règles relatifs à la démocratie et aux libertés publiques, à travers une double fonction, consultative et contentieuse.
Sur le plan consultatif, elle pourrait être interrogée par de nombreux acteurs, soucieux de voir se préparer une situation contraire aux principes démocratiques: soit les gouvernements eux-mêmes, soit des organisations internationales universelles ou régionales, soit encore des ONG, des partis politiques, des associations nationales ou des organisations professionnelles. Ceux-ci pourraient soumettre à la Cour des projets de textes ou des textes en rapport avec la démocratie et les droits de l’homme. La Cour rendrait un avis motivé, évaluant si le texte qui lui est soumis est conforme ou non aux principes et règles relatifs à la démocratie et aux libertés publiques.
Sur le plan contentieux, elle pourrait être saisie par des individus sous condition d’avoir un soutien pétitionnaire, par des ONG, des organes pléniers d’organisations internationales universelles ou régionales. Ceux-ci pourraient lui soumettre toute atteinte grave (des faits ou des actes juridiques) aux principes démocratiques et aux conditions démocratiques des élections. Elle rendrait des décisions de conformité ou de non-conformité, l’Etat étant tenu de donner suite à ses décisions.
Conclusion
Oubliant qu’ils sont engagés par les traités internationaux qu’ils ont ratifiés, les Etats les ont considérés jusqu’ici comme des formules incantatoires. Et cela, en dépit d’une large adhésion à ces Pactes où se côtoient les démocraties qu’on a nommées populaires du temps de la guerre froide, certains Etats plus soucieux d’endoctrinement religieux que de libertés, ainsi que des dictatures caractérisées. Quant aux pays occidentaux, si fiers d’avoir été à l’origine de ces textes, ils y voient davantage un effet de vitrine leur permettant de se faire passer pour vertueux qu’un véritable engagement ayant des conséquences sur leurs politiques nationales. La dégradation des conditions dans lesquelles se déroulent les élections dans tous les pays du monde, notamment à travers la manipulation des résultats ou la question du financement des campagnes électorale, la situation dans les prisons laquelle est, dans le monde entier, une atteinte fondamentale au principe de la dignité humaine, la manière dont sont traités les étrangers, si souvent en violation des principes posés par les textes sur les droits de l’homme, tout cela résulte de mesures constitutionnelles, législatives ou réglementaires édictées par les Etats dans une superbe ignorance des traités auxquels ils ont souscrit en matière de droits de l’homme, de démocratie et de libertés.
Il apparaît bien ainsi que seuls des mécanismes contraignants au niveau mondial sont à même de garantir, pour tous les êtres humains, le respect de leurs droits et de leurs libertés. Ce qui peut mieux les protéger, ce sont des progrès bien contrôlés du droit international et non pas sa régression. Si le droit international, en s’affirmant, limite le champ de la souveraineté, ce droit international lui-même est le produit de l’accord entre les souverainetés. Ainsi, avec le projet d’une Cour mondiale des droits de l’homme et le projet d’une Cour constitutionnelle internationale, deux organes judiciaires adaptés à l’effectivité des droits de l’homme, il s’agit seulement et tout simplement d’exiger que des engagements pris par les Etats en toute souveraineté soient respectés.
Lisbonne, 10 novembre 2016
ARTICLES
Raphaëlle NOLLEZ-GOLBACH
La déchéance de la nationalité, au risque de l’inégalité
entre Français
Cinq Français condamnés pour terrorisme à la suite des attentats de Casablanca au Maroc en 2003, viennent d’être privés de leur nationalité par une décision du gouvernement français du 7 octobre dernier. Jusqu’alors, on ne comptait pourtant que 21 déchéances de nationalité, et ce depuis 1989. Mais, déjà, l’an dernier, le gouvernement avait pris un premier décret de déchéance de nationalité, mettant fin à une longue période de non-application de cette mesure depuis 2006.
Le contexte actuel, marqué par la hausse des actes terroristes en France, y est évidemment pour beaucoup. La menace de la déchéance de nationalité est ainsi régulièrement agitée par la classe politique, sans qu’elle ait pour autant été suivie d’effets. Elle redevient donc effective avec les cinq décrets portant déchéance de la nationalité française pris par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Les conditions de la déchéance
L’examen des critères juridiques encadrant la déchéance de nationalité permet de pointer la stigmatisation induite par cette sanction qui, visant à punir une atteinte grave aux intérêts de l’État, ne s’applique qu’aux Français naturalisés et porte en elle les germes d’une division des Français selon leur naissance.
Juridiquement, la déchéance de nationalité est prévue par les articles 25 et 25-1 du Code civil – qui régit dans son titre 1er bis « la nationalité française ». Mais elle est strictement encadrée. Ainsi elle ne concerne que les individus ayant acquis la nationalité française – ce qui en exclut les Français de naissance. De plus, la déchéance de nationalité ne peut être encourue que si les faits en cause sont antérieurs à l’acquisition de la nationalité française ou datent de moins de 10 ans après celle-ci (un délai porté à quinze ans dans le cas d’actes de terrorisme). Enfin, elle ne peut s’appliquer que si l’individu déchu de la nationalité française possède une autre nationalité.
Cette condition a pour but de protéger les individus contre la perte de toute nationalité – ce qui aurait pour effet de les rendre apatrides. Cette limite a été introduite par la loi relative à la nationalité du 16 mars 1998, afin de mettre la législation française en accord avec la Convention européenne sur la nationalité de 1997. Celle-ci affirme, dans son article 4, le droit « à une nationalité » et le droit de ne pas « être arbitrairement privé de sa nationalité ». Des droits déjà proclamés en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 15).
Deux catégories de Français
Les motifs de la déchéance de nationalité sont également restreints. L’individu doit avoir été condamné pour avoir porté atteinte aux « intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme » (art. 25.1), pour des atteintes à l’autorité de l’État (art. 25.2), pour s’être soustrait aux obligations du service national (art. 25.3), ou encore pour s’être « livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France » (art. 25.4).
On le voit: les motifs justifiant la déchéance de nationalité touchent tous à la souveraineté de l’État et s’apparentent à ce que le droit qualifie – de manière floue – d’« atteintes à l’intérêt fondamental de la nation ». Or ce qui est frappant, c’est que depuis la modification législative de 1998 (qui a supprimé un motif de déchéance de nationalité relevant du droit commun) la totalité des déchéances de nationalité a été prononcée sur le seul fondement de terrorisme. S’il est bien entendu qu’il s’agit d’actes très graves, il n’en reste pas moins qu’on ne peut occulter son utilisation politique, au moment où la France est la cible de plusieurs attentats meurtriers.
Face à la multiplication de ces actes terroristes, qui plus est commis par des Français, le pouvoir répond ainsi par une mesure symbolique forte. On peut évidemment douter du fait que déchoir un individu naturalisé de la nationalité française soit une solution pérenne au terrorisme. Il s’agit plutôt ici d’une peine supplémentaire émanant de l’État, qui fait suite à la condamnation pénale de l’individu par la justice. Mais ce qui, surtout, est problématique c’est que la déchéance de nationalité, si elle vise à sanctionner une atteinte fondamentale aux intérêts de l’État, a pour effet collatéral de créer deux catégories de Français: les Français de naissance qui ne peuvent perdre leur nationalité et les Français naturalisés à qui elle peut être retirée.
Le principe d’égalité remis en question
Le Conseil constitutionnel avait, d’ailleurs, été saisi lors de la dernière procédure de déchéance de nationalité de la conformité à la Constitution française des articles 25 et 25-1 du Code civil. Cette affaire survenait juste après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher à Paris, contribuant à relancer l’idée de la déchéance de nationalité comme sanction du terrorisme.
Au coeur de la question juridique qui était alors posée à la juridiction constitutionnelle se trouvait le respect du principe d’égalité. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit en effet, dans son article 6, que la loi « doit être la même pour
tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Dans sa décision du 23 janvier 2015, dans l’affaire M. Ahmed S., le Conseil a cependant estimé que le législateur pouvait déroger à l’égalité entre Français pour « des raisons d’intérêt général » et en raison de la « gravité toute particulière » des faits en question, à la condition que la possibilité de déchoir un individu de sa nationalité soit limitée dans le temps. En l’espèce : quinze ans maximum après l’acquisition de la nationalité.
Le terrorisme est ainsi devenu aujourd’hui un fondement dérogatoire au principe d’égalité entre tous les Français. Et il n’est pas sûr que cela soit une bonne nouvelle. Véritable mise au ban de la communauté, la déchéance de nationalité représente une mesure d’exception, amalgamant étranger et terrorisme. Car elle ne vise, en réalité, qu’à pouvoir expulser l’individu désormais déchu de sa nationalité.
Reste la limite posée par le Conseil constitutionnel à l’extension inconditionnelle de la déchéance de nationalité : une généralisation de la mesure serait inconstitutionnelle, tout allongement du délai de quinze ans constituant alors – enfin ! serait-on tenté de dire – une atteinte disproportionnée à l’égalité entre les Français.